Un an après l’invasion russe, les maires ukrainiens demandent des investissements pour reconstruire les écoles, instruire les enfants et restaurer un large éventail de services municipaux.
Il y a un an, le 23 février, les enfants ukrainiens sont rentrés de l’école, ont fait leurs devoirs, dîné, préparé leurs affaires pour le lendemain, puis se sont endormis. Mais pour beaucoup, le lendemain n’est pas arrivé.
C’est ainsi qu’Andriy Vitrenko décrit la situation de nombreuses familles en Ukraine. Les lendemains n’arrivent tout simplement pas. Andriy Vitrenko, premier vice-ministre de l’éducation et des sciences en Ukraine, a déclaré qu’un an après l’invasion russe, la reconstruction des écoles détruites était une priorité : il s’agit d’assurer la sécurité des enfants et de préserver leur avenir.
« Cette incertitude quant à savoir si une école va ouvrir ou non est notre lot quotidien en Ukraine », témoigne Andriy Vitrenko. « L’enseignement se heurte à des conditions difficiles dans notre pays. Nous avons besoin de nouveaux manuels, de nouvelles chaises et de nouveaux bureaux pour les enfants, ainsi que de nouveaux abris. »
C’est en ces mots qu’Andriy Vitrenko a décrit la situation dans son pays lors d’une visite à Luxembourg début février, à l’occasion d’un forum international consacré à la reconstruction de l’Ukraine et parrainé par la Banque européenne d’investissement. Selon les autorités ukrainiennes, les dommages causés par l’invasion russe se chiffrent déjà à plus de 750 milliards de dollars. Une cinquantaine de représentants sont venus d’Ukraine pour participer au forum, notamment des hauts responsables de l’État et des maires qui luttent pour que les services essentiels continuent de fonctionner dans leurs villes.
Lors du forum, les intervenants se sont interrogés sur les moyens de relever les défis suivants :
- accélérer les approvisionnements en Ukraine ;
- aider davantage de réfugiés ;
- assurer le bon fonctionnement des trains ;
- aider les agriculteurs à produire leurs cultures ;
- maintenir l’industrie sidérurgique en état de marche ;
- trouver des foyers pour les enfants dont les parents ont disparu ou qui sont privés d’école ;
- renforcer le secteur numérique.
Le maintien des écoles ouvertes est l’un des plus grands problèmes qu’a dû gérer Serhiy Solomakha, maire de Myrhorod, ville du centre de l’Ukraine, après l’invasion russe. Myrhorod est célèbre pour ses thermes. La ville accueille plus de 10 000 personnes qui ont dû fuir de chez eux, ce qui représente plus de 20 % de sa population.
« Dès le début de la guerre, le problème des établissements d’enseignement s’est posé », explique Serhiy Solomakha, « mais chaque jour a été synonyme de nouveaux problèmes : cabinets médicaux, transports au centre-ville, approvisionnement en chauffage et en eau, logement, etc.. »
La première semaine de l’invasion, les enfants vivant dans des zones dangereuses du pays sont passés à un apprentissage exclusivement en ligne, ont témoigné les maires présents. Quelques mois plus tard, lorsque de nombreuses villes ont réalisé qu’elles pouvaient organiser certains cours dans des bâtiments scolaires, les écoles ont commencé lentement à rouvrir leurs portes, à condition de disposer d’un abri anti-aérien.
Myrhorod utilise l’argent d’un important prêt octroyé par la Banque européenne d’investissement destiné au redressement de l’Ukraine afin de réparer les dommages causés par le conflit avec la Russie. Une partie du prêt (500 000 euros) a permis de financer les travaux sur deux équipements importants, à savoir une école d’esthétique et un établissement artistique. Ces deux bâtiments sont fréquentés par plusieurs centaines d’étudiants chaque jour, dont certains sont issus de quelque 2 000 familles de réfugiés. Ces établissements ont rouvert leurs portes en décembre 2022 et proposent des cours de théâtre, de chant choral, de couture, d’artisanat et un large éventail d’autres cours artistiques et formations.
L’école est plus qu’un simple rêve
Certains ouvriers, qui ont remis en état les écoles en installant de nouvelles conduites d’eau, en remplaçant les fenêtres ou en rétablissant l’éclairage et l’électricité, n’ont pas été rémunérés pendant plusieurs mois, en raison de la difficulté d’effectuer des paiements en temps de guerre. Nombre d’entre eux étaient des femmes, car les hommes servaient dans l’armée.
« Nous ne voulions pas que ce nouveau centre scolaire ne soit qu’un rêve », a souligné le maire Serhiy Solomakha. « Malgré tout ce que nous traversons, les personnes ont uni leurs forces pour que les enfants puissent étudier et recevoir une éducation. »
Pour Artem Semenikhin, maire de Konotop, une petite ville du nord-est de l’Ukraine, à l’heure où il faut se tourner vers l’avenir et décider comment remettre le pays sur pied, il est important de se rappeler que la guerre n’a pas vraiment commencé il y a un an.
« La guerre dans notre pays dure depuis plus de huit ans », ajoute-t-il, évoquant l’invasion russe de la péninsule ukrainienne de Crimée. « Mais ce n’est que lors de l’invasion à grande échelle que la population s’est réveillée, qu’elle a changé, qu’elle a commencé à se comporter différemment. Je me réjouis que nous ayons ouvert les yeux. Le prix à payer est extrêmement élevé pour notre société, mais cela nous a vraiment fait commencer à apprécier la liberté. »
Artem Semenikhin et Serhii Morhunov, maire de Vinnytsia dans le centre-ouest de l’Ukraine, affirment que la guerre a permis aux Ukrainiens de se concentrer davantage sur le problème russe – que beaucoup avaient tenté d’ignorer dans le passé en se concentrant sur des préoccupations davantage liées à l’environnement local de leur quotidien.
« La guerre a un impact négatif sur tout citoyen de n’importe quel pays ou ville », affirme Serhii Morhunov. « Mais s’agissant des Ukrainiens, avant toute chose, la guerre a soudé l’ensemble de la société. Et, plus que jamais, tout le monde est prêt à combattre l’ennemi qui a attaqué notre pays. »
Et Artem Semenikhin d’ajouter : « Avant le 24 février, certains menaient une vie tout à fait banale, partageant leur temps entre le travail, la maison et les enfants. C’était la routine, et les gens ne prêtaient pas attention aux autres événements qui se produisaient dans le monde. Désormais, chaque famille, chaque enfant y est attentif. »
Les maires font le constat que la guerre a particulièrement altéré les conditions de vie des enfants, qui sont les plus difficiles à protéger.
« Le plus douloureux, c’est le sort des enfants », déplore Artem Semenikhin. « Ils souffrent de la guerre. Ils doivent s’en accommoder. Les enfants jouent même aux postes de contrôle : ils installent des barrages routiers, arrêtent les voitures, disent quelques mots de passe en ukrainien, collectent de l’argent pour l’armée, puis transfèrent cet argent à des fonds pour acheter divers équipements pour leur ville. »
Les enfants risquent de subir un retard sur plusieurs années
Les enfants courent le danger d’accumuler un énorme retard, ce dont le pays souffrirait pendant longtemps, explique Serhiy Solomakha, maire de Myrhorod.
« Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre toute une génération maintenant », assure-t-il. « Si nous n’instruisons pas cette génération d’enfants pendant cette guerre, dans cinq à dix ans, nous connaîtrons beaucoup d’autres problèmes. Les enfants doivent posséder certaines connaissances et compétences pour bâtir l’Ukraine de demain. »
Artem Semenikhin, maire de Konotop, partage l’avis exprimé par Andriy Vitrenko, premier vice-ministre de l’éducation, lorsqu’on lui a demandé d’énumérer les principaux besoins des Ukrainiens aujourd’hui. Il a déclaré que la priorité absolue était de fournir des abris aux personnes ayant perdu leur maison. Viennent ensuite les aliments frais, les groupes électrogènes, les carburants, les armes et les avions de combat, selon les maires présents au forum.
« Le plus important, ce sont les abris anti-aériens qui permettent aux gens de s’y réfugier longuement et de sauver leur vie », insiste Artem Semenikhin. « Un abri à proximité sauve non pas des dizaines, mais des centaines, voire des milliers de personnes. On n’accorde pas suffisamment d’attention à ce problème. Les abris constituent le besoin le plus criant. La chose la plus importante. »
La construction d’abris exige de la main-d’œuvre, mais également davantage d’investissements et des conditions de remboursement plus souples, ont rappelé les maires. « Pour reconstruire et restaurer, nous avons en outre besoin de plus de savoir-faire – technique et économique – pour pouvoir réaliser ces travaux selon des normes européennes élevées », explique Serhii Morhunov, maire de Vinnytsia.
Le train de mesures de la Banque européenne d’investissement en faveur de l’Ukraine se caractérise notamment par les trois principaux éléments suivants : l’assistance technique pointue apportée par les services de conseil, la réactivité décisionnelle des chargés de prêts et des ingénieurs de projets concernant les investissements examinés, et la souplesse des conditions financières. Depuis le début de l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine, en étroite collaboration avec la Commission européenne et les autorités ukrainiennes, la Banque a mobilisé 1,7 milliard d’euros pour aider le pays.
Les maires sont optimistes quant à l’issue favorable de la guerre pour l’Ukraine, mais personne ne peut prédire quand elle se produira.
« J’aimerais vraiment que tout le monde comprenne que l’Ukraine n’a plus le même visage qu’avant le 24 février 2022 », a déclaré Artem Semenikhin, maire de Konotop. « Aujourd’hui, nous nous battons pour chaque centimètre carré de notre territoire, de notre pays. Nous le chérissons et nous avons le sentiment de nous battre pour la liberté de l’ensemble du monde civilisé. »