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    Au total, 2,3 milliards de personnes vivent dans des pays en situation de stress hydrique, ce qui signifie que le volume d’eau à disposition est inférieur à 1 700 m3 par personne et par an. Pourtant, chaque année dans le monde, 380 milliards de m3 d’eaux usées municipales sont générés. Et leur volume devrait augmenter de 24 % d’ici à 2030 et de 51 % d’ici à 2050. Les eaux usées ne sont toutefois pas un problème, mais une occasion à saisir.

    Les eaux usées sont une source précieuse et durable d’eau, d’énergie et de nutriments. Certains pays en ont pris conscience. Ces dernières années, les pays développés ont cessé de considérer les eaux usées comme de simples polluants et commencé à entrevoir la possibilité que les stations d’épuration deviennent des usines de valorisation des ressources en eau, capables de rendre l’eau propre, de récupérer les nutriments et de réduire les émissions de dioxyde de carbone grâce à la production et à l’utilisation d’énergies renouvelables.

    Cette nouvelle conception marque un tournant majeur. À l’heure actuelle, plus de 80 % de l’ensemble des eaux usées dans le monde sont rejetés dans l’environnement sans traitement adéquat. Selon ONU-Eau, les pays à revenu élevé traitent en moyenne 70 % des eaux usées qu’ils génèrent. Ce pourcentage tombe à 38 % dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et à 28 % dans ceux de la tranche inférieure. Dans les pays à revenu faible, seuls 8 % des eaux usées font l’objet d’un quelconque traitement.

    Nous ne pouvons pas nous permettre de gâcher les ressources présentes dans les eaux usées. Voici comment remédier à cette situation.

    Réutilisation de l’eau

    La première et la plus évidente ressource que nous pouvons obtenir par le traitement des eaux usées est, naturellement, l’eau. L’eau couvre 70 % de la surface de la Terre, mais moins de 3 % des ressources en eau de la planète sont disponibles sous forme d’eau douce, dont seulement 1 % est facilement accessible. Bien que l’eau douce ne soit pas abondante, seuls 3 % sont prélevés pour la boisson. Le reste est principalement destiné à l’agriculture, qui représente près des deux tiers de la consommation d’eau douce.

    Les ressources en eau douce étant limitées, le recyclage de l’eau peut constituer une solution durable et efficace. Les eaux recyclées sont les eaux usées qui ont été traitées pour satisfaire à une norme spécifique de qualité de l’eau aux fins d’un usage prévu. Les usages en sont divers et variés, mais nous distinguons deux grands types de réutilisation de l’eau selon qu’elle est potable ou non potable.

    Reconstitution de l’environnement

    La réutilisation de l’eau est la réponse à la pénurie de cette ressource et aux effets des phénomènes climatiques extrêmes comme les sécheresses prolongées. La réutilisation de l’eau non potable fait référence à l’utilisation d’eaux recyclées à des fins non alimentaires, notamment l’irrigation agricole. L’eau recyclée est également utilisée aux fins d’activités industrielles et de l’irrigation des espaces verts urbains, ainsi que du nettoyage des rues.

    Pendant les périodes de fortes chaleurs et les sécheresses, l’eau recyclée sert à rétablir ou maintenir le débit des cours d’eau, à accroître le niveau des lacs ou à restaurer des zones humides, préservant ainsi la biodiversité. L’eau recyclée présente l’avantage particulier de constituer une source d’approvisionnement fiable, non tributaire des sécheresses saisonnières et de la variabilité des conditions météorologiques.

    Une forme d’amélioration de la qualité de l’environnement gagne du terrain : la reconstitution des nappes phréatiques gérées. Il s’agit d’injecter intentionnellement des eaux usées traitées dans les nappes phréatiques en vue d’une récupération ultérieure.

    De l’eau réutilisée

    L’eau potable peut être réutilisée de deux façons. D’une part, la réutilisation indirecte d’eau potable désigne l’augmentation des ressources naturelles en eau potable grâce à de l’eau recyclée. Cela peut faire l’objet d’une planification. La réutilisation planifiée est de plus en plus courante en Australie et aux États-Unis, mais il n’existe qu’un seul système de réutilisation de l’eau potable à temps plein dans l’Union européenne. L’usine de Torreele en Flandre occidentale, dans le nord de la Belgique, utilise de l’eau recyclée pour reconstituer artificiellement l’aquifère de Saint-André, qui fournit de l’eau à 60 000 personnes des environs.

    Cependant, en fait, une grande partie des eaux usées traitées, et même non traitées, finit dans les systèmes d’approvisionnement en eau pour la réutilisation indirecte non planifiée d’eau potable.

    D’autre part, la réutilisation directe d’eau potable désigne l’injection d’eau recyclée directement dans le réseau de distribution d’eau. Néanmoins, l’utilisation d’eau recyclée à des fins alimentaires n’est pas courante.

    La ville de Windhoek, en Namibie, met en œuvre cette pratique depuis 50 ans. L’eau recyclée représente environ 30 % de l’approvisionnement actuel de la ville en eau potable, desservant ses 400 000 habitants. À Singapour, l’eau recyclée couvre 40 % des besoins du pays en eau. Son système NEWater transforme l’eau traitée en une eau ultra-propre et de grande qualité. D’ici à 2060, NEWater devrait satisfaire jusqu’à 55 % de la demande en eau de Singapour.

    Malgré des besoins croissants, l’utilisation de l’eau recyclée continue de faire débat. On appelle « sagesse du dégoût » la répulsion instinctive associée à l’idée du recyclage des eaux usées et à la crainte que l’eau recyclée ne soit pas sûre. Cette perception du grand public, même si elle n’est pas nécessairement fondée sur des risques réels, peut constituer un véritable défi pour l’intégration de l’eau recyclée dans le réseau d’approvisionnement.

    Récupération des nutriments

    Les boues d’épuration sont les matières résiduelles semi-solides qui sont un sous-produit du traitement des eaux usées. Ces boues contiennent des métaux et des microplastiques, ainsi que des organismes pathogènes comme des virus et des bactéries. Elles sont toutefois également riches en nutriments comme l’azote et le phosphore, qui proviennent de déchets humains, de denrées alimentaires et de certains savons et détergents. Et ces deux nutriments jouent un rôle important dans l’agriculture en tant que composants des engrais.

    Dans les zones urbaines où les services avancés de traitement des eaux usées font défaut, la forte concentration de ces nutriments est une source de pollution. L’excès d’azote et de phosphore reste l’une des principales causes de la dégradation de la qualité de l’eau en Europe. C’est un argument de plus en faveur de la récupération des nutriments dans les eaux usées.

    La crise du phosphore

    Vous ne le savez peut-être pas, mais le phosphore est un élément essentiel au maintien de la vie sur Terre. Pourquoi ? Parce qu’il est indispensable à la production de nos denrées alimentaires. Le phosphore, sous la forme de phosphate, est nécessaire à la fertilisation des sols. Mais nos ressources s’épuisent. Il est annoncé que les ressources minérales de phosphore extractibles vont devenir rares ou même s’épuiser au cours des 50 à 100 prochaines années. Parallèlement, nous en gaspillons tellement qu’elles polluent les eaux.

    C’est la raison pour laquelle la récupération du phosphore revêt une telle importance. En recyclant simplement les eaux usées domestiques à l’échelle de la planète, nous pourrions satisfaire 22 % de la demande mondiale de phosphore. Face aux prévisions de pénuries, l’intérêt pour la récupération du phosphore dans les eaux usées a donné lieu à des recherches approfondies dans ce domaine. Ces technologies sont déjà utilisées sur plusieurs sites. La plus grande usine au monde de récupération des nutriments se situe à proximité de Chicago, aux États-Unis. Son système peut récupérer plus de 85 % du phosphore et jusqu’à 15 % de l’azote provenant des flux d’eaux usées.

    Le cycle de l’azote

    Contrairement au phosphore, qui est une ressource limitée et non renouvelable, l’azote est présent en abondance dans l’atmosphère. Depuis l’invention, en 1909, du procédé Haber-Bosch, qui convertit l’azote atmosphérique en ammoniac, les engrais azotés ont appuyé la plus importante augmentation de la capacité de production alimentaire de toute l’histoire.

    L’augmentation de la production alimentaire résultant de l’utilisation de ces engrais a pour corollaire une concentration record d’azote dans nos eaux usées. C’est pourquoi les stations d’épuration doivent employer des méthodes énergivores pour éliminer l’azote.

    Le procédé utilisé pour éliminer l’azote des eaux usées entraîne également la formation d’oxyde d’azote, un gaz à effet de serre. Toutefois, la récupération complète de l’azote au lieu de sa simple élimination remédie à ce problème, non seulement en contribuant à l’économie circulaire, mais aussi en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, les technologies actuelles ne permettent de récupérer que 5 à 15 % de cet azote, ce qui, outre son abondance dans l’atmosphère, pose également un défi commercial.

    Rentabiliser la récupération

    La technologie progresse, mais pas assez pour être rentable et les débouchés commerciaux restent limités. La faible teneur en nutriments des biosolides, en particulier l’azote, ne permet pas une commercialisation rentable sur le marché. Seuls 5 à 15 % de l’azote disponible dans les eaux usées peuvent être récupérés, contre 45 à 90 % du phosphore.

    Des scientifiques et des ingénieurs examinent également une liste d’autres ressources sous-exploitées dans les eaux usées, dont les bioplastiques, les enzymes, les métaux et les minéraux, mais des travaux supplémentaires sont nécessaires pour rendre leur récupération économiquement viable.

    Valorisation énergétique des déchets

    L’industrie du traitement des eaux usées consomme de grandes quantités d’énergie, soit environ 0,8 % de l’ensemble de l’électricité produite dans l’Union européenne. Néanmoins, des études ont montré que les eaux usées contiennent près de cinq fois la quantité d’énergie nécessaire à leur traitement. Cela signifie que les usines de traitement des eaux usées sont en mesure non seulement de produire l’énergie dont elles ont besoin, mais aussi d’aider à chauffer et à alimenter en électricité les villes qui produisent ces eaux usées, permettant ainsi de décarboner l’économie.

    Les usines avancées ne récupèrent généralement que de l’énergie chimique sous la forme de biogaz, qui est produit à partir de la digestion anaérobie des boues d’épuration. Le biogaz est l’une des principales sources d’énergie renouvelables. Il ne s’appuie pas sur des matières premières essentielles et ne perturbe pas la faune sauvage. En outre, il peut être stocké et distribué au moyen du réseau d’infrastructures gazières existant.

    La recherche sur l’énergie intrinsèque des eaux usées municipales pouvant faire l’objet d’une valorisation donne toutefois à penser que le potentiel de l’énergie thermique (80 % de l’énergie récupérée) est beaucoup plus élevé que celui de l’énergie chimique (20 %). Seule une très petite quantité (moins de 1 %) de l’énergie intrinsèque revêt la forme d’énergie hydraulique, signe qu’une part importante de l’énergie des eaux usées qui pourrait faire l’objet d’une valorisation reste actuellement inexploitée.

    Chauffer et refroidir

    L’énergie thermique des eaux usées, récupérée grâce à des technologies comme les échangeurs de chaleur et les pompes à chaleur, peut être utilisée dans les réseaux de chauffage et de refroidissement urbain, les serres agricoles et même pour le séchage des boues. En effet, les eaux usées présentent une température relativement élevée, car elles proviennent de sources chaudes : les douches, les lave-vaisselle et les machines à laver le linge.

    La valorisation et l’utilisation de l’énergie thermique provenant des eaux usées ne présentent aucune restriction technologique. Les difficultés liées à la valorisation sont attribuables à la distance depuis les stations de traitement des eaux usées. Afin d’utiliser pleinement cette énergie thermique, les autorités doivent l’inclure dans leur plan d’aménagement municipal.

    Qu’est-ce que l’eau adaptée à l’usage prévu ?

    L’eau adaptée à l’usage prévu est une eau recyclée qui a fait l’objet d’un traitement spécialement conçu pour répondre aux exigences de l’utilisation finale prévue. La qualité de l’eau dépend de la façon dont elle sera réutilisée.

    Par exemple, la qualité de l’eau recyclée utilisée dans l’agriculture devra être suffisamment élevée pour préserver la santé des sols et la sécurité alimentaire. Les eaux recyclées pour la consommation humaine nécessiteront un traitement encore plus important.

    Eaux usées et climat

    Si nous voulons atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies, nous devons changer la manière dont nous traitons les eaux usées. La gestion des eaux usées sera essentielle pour garantir à tous et toutes une eau propre, éradiquer la faim et la pauvreté, mais aussi réduire les émissions.

    Les services collectifs de distribution d’eau et de traitement des eaux usées sont à l’origine de 3 % à 7 % des émissions de gaz à effet de serre. Leur contribution potentielle à l’atténuation des changements climatiques ne devrait pas être négligée. Les stations d’épuration consomment 0,8 % de toute l’énergie utilisée dans l’Union européenne. Des systèmes de valorisation énergétique pourraient permettre l’autosuffisance de toutes ces usines.

    La réutilisation de l’eau pourrait également réduire la quantité d’énergie associée à l’extraction. Un nouveau règlement de l’UE relatif à l’agriculture, qui entrera en vigueur en 2023, pourrait permettre de multiplier par six la réutilisation de l’eau, passant de 1,7 milliard de m³ à 6,6 milliards de m³ par an, et de réduire le stress hydrique de 5 %.

    Des solutions pour les eaux usées

    Pour encourager la réutilisation de l’eau sans compromettre la santé publique, il faut établir des normes de qualité adaptées à l’usage prévu. La préservation de la santé publique doit être un pilier essentiel de tout système de réutilisation de l’eau.

    Nous avons besoin de technologies nouvelles et meilleures qui permettront d’accroître la récupération des nutriments de manière économiquement viable. Nous devons également envisager que les eaux usées renferment d’autres ressources qui n’ont pas encore été exploitées.

    À cette fin, il est nécessaire d’investir dans les infrastructures du secteur de l’eau. Pour atteindre l’objectif de l’Union européenne en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030, des investissements supplémentaires de 90 milliards d’euros sont nécessaires dans le seul secteur de l’eau et des déchets. Mais les ressources des eaux usées peuvent jouer un rôle. On estime que 60 à 70 % de la valeur potentielle des eaux usées dans l’ensemble de l’Union européenne demeurent inexploités (c’est-à-dire la chaleur, l’énergie, les nutriments, les minéraux, les métaux, les produits chimiques, etc.).

    Enfin, pour opérer la transition de la réduction de la pollution à la valorisation des ressources, le concept doit, dans la mesure du possible, être fixé comme objectif dès les premières étapes de planification des nouveaux investissements. Il n’y a pas de temps (ni d’eaux usées) à perdre.