De quoi les négociateurs de la COP 23 parlent-ils vraiment dans les coulisses de la conférence des Nations unies sur le climat à Bonn (hormis des muffins) ?
Des personnes déambulent, portant des badges où l’on peut lire « Party » sous leur nom, mais l’heure n’est pas à la fête. Une certaine morosité domine la COP ou Conférence des parties. Les participants qui portent le badge « Party » sont parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, tandis que les badges « Party overflow » sont délivrés aux personnes affiliées, mais n’appartenant pas à la délégation officielle d’un pays initialement inscrite pour participer aux négociations. Mais au fond, de quoi ces personnes parlent-elles vraiment ?
Qu’y avait-il à négocier à la COP 23 à Bonn début novembre si le plan d’action de la lutte contre les changements climatiques semble avoir été établi par un accord historique à Paris il y a maintenant deux ans ?
Beaucoup de points visiblement. Même si l’Accord de Paris représente le tout premier accord universel sur le climat, passer de la théorie à la pratique n’est pas une mince affaire.
Prenons par exemple les dossiers en suspens de la COP 18 à Doha. Au beau milieu de la conférence, l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique et la Suède ont déposé auprès du secrétariat des Nations unies les instructions de ratification de l’amendement de Doha au Protocole de Kyoto. Cet amendement prolongeait les engagements existants pour lutter contre les changements climatiques jusqu’en 2020, date à laquelle les objectifs du célèbre Accord de Paris entrent en vigueur. L’UE semble avoir fait pression sur ses États membres pour qu’ils mettent de l’ordre dans leurs papiers afin que les négociateurs participant à la conférence ne soient pas pointés du doigt par d’autres pays en raison d’un manque d’engagement envers les objectifs, à commencer par ceux en vigueur, plus modestes, et sans oublier ceux de l’Accord de Paris, plus ambitieux.
Par ailleurs, les modalités de la mise en œuvre de l’Accord de Paris (et ce que cela implique vraiment) font toujours débat. Par exemple, cet accord prévoyait que les pays développés octroient 100 milliards d’USD par an (à compter de 2020) aux pays en développement à l’appui des mesures d’adaptation aux changements climatiques et d’atténuation de leurs effets. Est-ce que cela prend la forme d’une assistance ? Ou d’investissements ? Et que faut-il prendre en considération ? Uniquement les investissements réalisés par les pays développés ? Ou faut-il aussi inclure les financements privés encouragés par l’investissement public ? Ainsi, si la Banque européenne d’investissement investit 100 millions d’EUR dans l’énergie solaire en Inde et que, par la suite, des investisseurs privés placent le même montant, faut-il prendre en compte 100 millions d’EUR ou 200 millions d’EUR contribuant à la réalisation de cet objectif ?
Quelle différence entre les deux Corée ?
La question des pays considérés comme en développement n’est pas moins épineuse. Cette typologie, basée en grande partie sur les pays qui étaient membres de l’OCDE il y a 25 ans, place la Corée du Sud dans la même catégorie que sa voisine du Nord. Cela a des conséquences inattendues, comme me l’a confié l’un des observateurs d’un pays développé.
« Dans le fond, si nous arrêtions de financer l’action en faveur du climat en Bulgarie et en Roumanie et mettions à la place cet argent à la disposition de l’Arabie saoudite et de la Corée du Sud, ce serait un bon point pour nous », m’a-t-il affirmé tout en dégustant d’excellents muffins à la pomme et à la cannelle dans le centre de conférence à Bonn.
Et même si personne ne s’attendait à ce que toutes ces problématiques soient résolues au terme de cette COP, ces thèmes ont continué à alimenter les conversations entre deux bouchées de muffins (il y en avait aussi au chocolat) et deux gorgées de café (en faisant la queue au pavillon allemand, on pouvait en prendre un gratuitement).
Les négociateurs de la COP 23 ne louchent que sur une petite part du gâteau des infrastructures
D’après une estimation citée par les négociateurs de la COP 23 sur le climat à Bonn, nous serions actuellement à environ 65 milliards d’USD par an et donc en bonne voie pour atteindre l’objectif de 100 milliards d’USD d’ici 2020. Même si ces chiffres paraissent énormes, un représentant du Forum économique mondial les a remis dans leur contexte. Dans sa présentation, il a calculé que, de toute façon, le monde avait besoin d’investir 5 000 milliards d’USD par an dans les infrastructures, pour l’essentiel dans les pays actuellement en développement. Avec « seulement » 700 milliards d’USD de plus, on pourrait faire en sorte que toutes ces infrastructures soient durables et adaptées aux changements climatiques.
L’OCDE estime quant à elle ce chiffre à environ 6 300 milliards d’USD par an sur la période 2016-2030 et à 6 900 milliards d’USD pour que les infrastructures (y compris l’énergie, les transports, l’eau, etc.) soient compatibles avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 °C. Par conséquent, nombreux ont été ceux à se demander d’où venait le chiffre de 100 milliards d’USD (certains se sont rappelé qu’il avait été proposé par l’ancien Premier ministre britannique Gordon Brown avant la COP 15 en 2009 à Copenhague, très probablement juste parce que c’était un « beau chiffre rond ») et s’il serait en fait suffisant ou s’il ne faudrait pas plutôt envisager de mobiliser de 600 à 700 milliards d’USD par an, comme semblent le suggérer le Forum économique mondial et l’OCDE.
« Ce n’est pas beaucoup plus que ce que l’on investirait de toute façon, mais il faut s’assurer que les aspects liés au climat sont pris en considération dans tous ces investissements. » Voilà ce qu’il faut en retenir, selon un auditeur attentif.
Les politiques vendues par les négociateurs de la COP 23
Pour beaucoup, la COP 23 était une occasion de rencontrer des confrères du monde entier, réunis autour d’un objectif commun. Un participant qui s’est rendu à toutes les conférences depuis la COP 4 à Buenos Aires en 1998 m’a dit : « C’est comme une immense foire où personne ne vend rien, hormis des politiques. »
Néanmoins, ces politiques sont essentielles.
« Tout comme les deux suivantes, cette COP est déterminante pour définir la mise en œuvre des décisions ayant reçu un accord de principe à Paris », a résumé un autre participant.
Le silence assourdissant de la Chine
Les négociateurs de la COP 23 sur le climat pensaient que la Chine profiterait de cette conférence pour reprendre le flambeau du leadership climatique mondial abandonné par les États-Unis sous l’impulsion de Donald Trump.
Avant que la COP ne débute réellement, voici ce que j’avais entendu : « La Chine a la volonté ferme d’intervenir dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques. Elle craint une vraie révolution en raison des niveaux de pollution atteints dans le pays. Le secteur industriel comme les autorités sont très motivés. »
Toutefois, lors de l’événement, à côté du pavillon du WWF appelé #Pandahub (dépourvu de représentant de son animal totem), la Chine a érigé un beau pavillon pour représenter le pays, qui ne s’est pas fait remarquer par ailleurs. « La Chine était quasiment absente, très en retrait », a résumé l’un des observateurs. Il a aussi remarqué que les Chinois se sont clairement positionnés du côté des pays en développement en demandant des contributions plus importantes de la part des pays développés. Dans ce contexte, les pays développés sont ceux dont l’industrialisation est en premier lieu majoritairement responsable des pics d’émissions de CO2.
Même si la Chine a déclaré qu’elle allait réduire le nombre de mines de charbon de 10 800 en 2015 à 7 000 d’ici à 2018, les négociateurs de la COP 23 étaient sceptiques quant aux moyens de vérifier que le pays tient bien ses promesses. Pour illustrer l’ampleur du défi à relever concernant la mise en œuvre des engagements et leur vérification, l’un des participants a rappelé que, malgré l’interdiction de construire de nouveaux parcours de golf il y a quelques années, plus de 400 terrains de golf « illégaux » ont depuis vu le jour en Chine.
Une once de soulagement grâce à une poignée d’Américains
Peu représentés au niveau fédéral, les États-Unis ont malgré tout été au centre de nombreuses conversations lors de cette manifestation. America’s Pledge, groupe présidé par l’ancien maire de New York Michael Bloomberg et le gouverneur de la Californie Jerry Brown, était présent à la conférence. Cette alliance réunit 2 300 entreprises, villes et États américains, soit plus de la moitié de la puissance économique du pays. Par conséquent, ils sont en mesure de remplir une grande partie de l’engagement de l’État fédéral américain à l’égard de l’action en faveur du climat.
Grâce à eux, et au front commun découlant du rejet de l’Accord de Paris par Donald Trump, tous les autres participants ont pu pousser un soupir de soulagement.
Pas de sabotage politique au programme
Certains vétérans de la COP ont été soulagés de constater que les dirigeants politiques n’ont pas saboté le processus. « À Paris, les dirigeants politiques sont venus au début, comme pour donner l’impulsion nécessaire à tous les fonctionnaires impliqués dans la préparation d’un accord », ai-je pu entendre juste avant que ne commence la réunion plénière de haut niveau avec, entre autres, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron. « Les travaux avancent plus vite en l’absence des ministres. Ils ne restent pas suffisamment longtemps ici pour les vraies négociations, qui sont menées par les délégations des pays. »
Alors que des rumeurs ont commencé à circuler sur la préparation de deux conférences sur le climat au niveau ministériel l’année prochaine, cet observateur était sceptique quant au fait que cela permette d’accélérer les avancées ou de relever le degré d’ambition.
Quoi qu’il en soit, le vrai travail des négociateurs de la COP 23 n’était pas encore terminé. Vers la fin de la conférence, la Belgique et la Slovaquie ont aussi déposé leurs instructions de ratification de l’amendement de Doha, dissipant ainsi un peu plus les craintes de l’UE. Le tout dernier jour, le Royaume-Uni en a fait de même.
Mais ce n’est toujours pas le cas de la Pologne, qui organisera la prochaine COP dans la ville de Katowice.