Comment le vaste plan d'investissement de l'Europe atteint les petites entreprises
Serpentant au cœur de la vallée dans laquelle le premier spécimen d'homme de Néandertal fut déterré, la rivière Düssel dessine une courbe autour du village de Gruiten. Avant d'atteindre le Rhin, à seulement 17 kilomètres de là, la rivière se divise en quatre ruisseaux séparés.
La carte des circonvolutions complexes que décrit la Düssel en fin de parcours ressemble un peu à la représentation graphique du prêt que Simone Wilbs et son mari Sebastian ont reçu pour financer leur entreprise familiale à Gruiten : un maillage alambiqué de garanties et de contre-garanties. Les grandes institutions européennes et les banques allemandes – sur lesquelles repose le prêt, in fine – estiment que, tout comme la petite rivière qui alimente le Rhin, les petites entreprises telles que l'usine de moulage de métaux des Wilbs doivent survivre pour assurer la prospérité de l'économie plus large qui l'entoure.
C'est pour cette raison que la bouée de sauvetage lancée aux Wilbs revêt une importance qui va au-delà des seules conditions de vie du petit groupe de personnes travaillant dans leur société – même si cet apport est vital dans ce cas-là. « Si nous n'avions pas le prêt, nous n'aurions pas d'activité », dit Simone qui, aux côtés de son mari, travaille avec deux employés à temps plein (y compris son beau-frère) et trois personnes à temps partiel, dont l'une – son père – a fondé l'entreprise.
« Ce n'est pas une grosse société, juste une entreprise familiale. Nous devons cependant avoir de l'argent à la fin du mois pour payer notre personnel, tandis que nous attendons que nos clients nous paient. »
Le Fonds européen d'investissement, qui a contribué à financer le prêt de 30 000 EUR accordé aux Wilbs, aide les petites et moyennes entreprises de toute l'Europe à obtenir des financements. Depuis 2015, un programme que le FEI gère pour le compte de la Commission européenne, appelé COSME, bénéficie du soutien du Fonds européen pour les investissements stratégiques. Connu sous l'acronyme FEIS, il s'agit d'un programme conjoint de la Commission et du Groupe Banque européenne d'investissement, l'institution qui chapeaute le FEI. Grâce à l'appui du FEIS, ce programme encadré par le FEI est en mesure de doubler le montant des prêts qu'il garantit.
Le grand fleuve alimente les cours d'eau
D'ici 2018, le FEIS entend engendrer 315 milliards d'EUR de nouveaux investissements, les fonds initiaux émanant du Groupe BEI et de la Commission européenne. Le volet FEI s'élève à 5 milliards d’EUR de capital, qui devrait mobiliser 75 milliards d’EUR d'investissements dans des petites et moyennes entreprises. C'est comme si le Rhin aidait de nombreuses petites Düssel à rejoindre ses flots.
Certaines des opérations du Groupe BEI au titre du FEIS sont quelque peu difficiles à comprendre pour le profane, car elles font intervenir de complexes évaluations des risques et des structures financières relativement nouvelles. Avec le FEI, le programme du FEIS est plus facile à cerner. Le FEI trouve des moyens pour que les petites entreprises aient indirectement accès à des ressources, par l'intermédiaire de banques et d'autres institutions. La garantie du FEIS permet simplement aux contreparties du FEI de prêter ou de garantir les fonds deux fois plus vite.
Risques partagés, prêts accordés
Le prêt que l'entreprise familiale Wilbs a reçu s'inscrit dans le cadre d'un programme qui sert de base aux opérations du FEI au titre du FEIS, dans l'ensemble de l'Europe. Ce programme, baptisé COSME (l'acronyme pour Programme pour la compétitivité des entreprises et les PME), garantit soit des prêts, soit d'autres garanties.
Voici comment cela s'est passé pour le prêt accordé aux Wilbs :
- Simone et Sebastian se sont rendus dans leur banque locale, la Kreissparkasse, pour solliciter un prêt.
- La Kreissparkasse a eu accès à un prêt (au titre d'un programme intitulé ERP-Gruenderkredit StartGeld) de la KfW, la grande banque de développement allemande. La KfW a assumé 80 % du risque de la Kreissparkasse.
- Grâce au programme COSME, la KfW a reçu une contre-garantie du FEI. Cette contre-garantie a couvert la moitié du risque de la KfW et l'a transférée sur le FEI.
En conséquence, la Kreissparkasse, la banque qui a effectivement réalisé le prêt à la petite entreprise, a beaucoup moins de soucis à se faire quant au risque que ce dernier engendre. Bien sûr, grâce à ce montage, la banque est nettement plus encline à accorder le prêt – ce qui est positif pour les petites et moyennes entreprises dans lesquelles travaillent la plupart des Européens.
« Ce type de crédit joue un rôle vital pour les jeunes pousses et les petites sociétés », explique Lars Testorf, vice-président chargé de la gestion des produits à la KfW à Francfort. « Sans un tel mécanisme, nombreuses seraient les petites entreprises qui se verraient opposer un refus de leur banque. »
Le FEI a signé avec la KfW un accord visant à soutenir un milliard d'EUR de prêts à des jeunes pousses allemandes d'ici 2018. Cela pourrait signifier que plus de 20 000 jeunes pousses allemandes en bénéficieront. Sans le FEIS, le FEI n'aurait pas eu les ressources issues du programme COSME pour réaliser une telle opération en 2015.
« Le FEIS est extrêmement important » commente L. Testorf, dont la banque a signé son accord avec le FEI en septembre et a commencé à accorder des prêts à des jeunes pousses en décembre. « Sans lui, nous ne pourrions pas proposer ce type de prêts ».
Une lacune du marché comblée
Dans toute l'Europe, les petites entreprises peinent à obtenir des prêts. Les banques disposent de beaucoup de liquidités, mais estiment que les petites sociétés représentent un plus gros risque que les grandes. L'objectif du FEIS – de son engagement en faveur des petites structures comme l'usine de Gruiten jusqu'à des investissements gigantesques dans des parcs éoliens en mer – est de faire en sorte que les banques et les investisseurs privés hésitent moins à faire travailler leur argent.
Cela est important en République tchèque, où le FEI a signé une opération en août pour offrir une contre-garantie aux garanties octroyées par CMZRB, une banque publique de développement basée à Prague. « Les liquidités existent en quantité suffisante, mais les banques ont besoin de sûretés, et c'est ce qui manque » commente Lubomir Rajdl, le directeur général adjoint de cette banque tchèque. « Notre programme vient vraiment combler une lacune du marché ».
À la fin de l'année, CMZRB avait déjà garanti des prêts à 400 petites entreprises en République tchèque, avec le soutien du FEI. « Ce fut une excellente année » selon L. Rajdl. « C'est la garantie du programme COSME, soutenue par le FEIS, qui a permis ces résultats ».
Au cours des deux prochaines années, L. Rajdl s'attend à ce que ce programme appuie l'octroi de prêts à 1 400 petites entreprises, au total, pour une valeur de 160 millions d'EUR.
... et le long du Danube également
Ces petits prêts étendent la portée du FEIS aux quatre coins de l'Europe. Sur la rive bulgare du Danube, en face de la Roumanie, Georgi Dikov est responsable d'une usine qui fabrique des échafaudages et du matériel de construction. Il a reçu un prêt de 34 000 EUR de Cibank, à Sofia, pour l'achat d'une moissonneuse d'occasion venant d'Allemagne.
« En Bulgarie, il est important de disposer de plusieurs sources de revenus » explique G. Dikov, qui emploie 45 personnes dans son usine, et 5 autres qui travaillent sur 100 hectares de terres agricoles. « Si la situation est mauvaise pour une activité, l'autre lui sert de béquille jusqu'à ce que les affaires reprennent ».
Dzhodi Ltd, la société de G. Dikov – qui a 39 ans – se trouve à Oryahovo, une ville de 5 000 habitants dans laquelle le taux de chômage dépasse la moyenne bulgare et où les salaires sont inférieurs de moitié à la moyenne nationale. C'est une région qui compte relativement peu de travailleurs hautement qualifiés.
« Je prends en charge des gens sans formation et j'en fais des spécialistes », dit G. Dikov.
Les 104 premiers prêts de Cibank, couverts par la garantie du FEIS, représentent 17,7 millions d’EUR. D'ici la fin du programme de 100 millions d’EUR, les responsables de Cibank devraient avoir aidé 700 petites et moyennes entreprises en Bulgarie.
Que ce soit sur les rives du Rhin ou sur celles du Danube, l'appui du FEIS au programme COSME maintient dès à présent l'économie européenne à flot.