Imaginez que vous soyez une mère célibataire, un écrivain indépendant, une propriétaire de chien ou un immigrant fraîchement arrivé qui cherche à louer un logement. Vous touchez un revenu et avez un historique solide de paiement de vos factures. Cependant, votre demande est rejetée à maintes reprises, car votre profil inquiète les propriétaires.
« Nous vivons dans une société où tout le monde ne bénéficie pas d’un accès au financement sur un pied d’égalité », déclare Sarah Wernér, cofondatrice d’Husmus, société de technologie financière. « Les décisions sont prises à l’aide de notes de crédit, mais celles-ci sont biaisées et souvent inexactes. Cela a des répercussions immenses sur la vie des gens, en particulier sur leur capacité à mettre un toit au-dessus de leur tête. »
En 2019, Sarah Wernér a hérité de sa maison d’enfance, en Angleterre, et est devenue propriétaire, une expérience qu’elle a trouvée aussi éprouvante qu’être locataire. Comme d’autres propriétaires, elle s’est tournée vers des locataires ayant des emplois « stables », comme des médecins et des avocats.
« Même si j’étais consciente des préjugés dont le monde est pétri, je me suis retrouvée à prendre des décisions partiales et j’ai pensé : “Oh mon Dieu, qu’est-ce qu’il m’arrive ? Pourquoi est-ce que je me comporte comme ça ?” Et j’ai réalisé que c’était pour des raisons financières. Les gens agissent ainsi par peur de perdre de l’argent. »
En 2021, elle a fondé Husmus (qui signifie « souris domestique », en suédois) avec Mattias, son mari, qui est suédois et directeur technique. Il s’agit d’un programme de référencement impartial des locataires visant à mettre sur un pied d’égalité les personnes fiables pour qu’elles puissent trouver un logement.
Voir qui vous êtes vraiment
Spécialiste de la science des données, Sarah Wernér savait qu’il devait y avoir un meilleur moyen de déterminer si une personne serait un ou une locataire fiable.
« J’ai réalisé que les indicateurs auxquels nous accordons de la valeur sont eux-mêmes très biaisés », explique-t-elle. « Le monde a évolué. La façon dont nous gagnons notre vie a changé par rapport à il y a 200 ans, lorsque les institutions financières ont commencé à utiliser des notes de crédit. »
Elle a pensé que la technologie pourrait servir à obtenir des mesures plus personnalisées, comme l’historique de location d’une personne, ce qui rendrait le processus global plus équitable.
Grâce à l’IA et à l’apprentissage automatique, Husmus peut étudier le comportement financier de milliers d’individus en temps réel. « Nous pouvons voir qui vous êtes vraiment », précise-t-elle, « sans qu’aucun filtre ne vienne altérer notre jugement. »
En 2023, Husmus a été finaliste du concours de l’innovation sociale de l’Institut BEI, qui récompense des entreprises ayant un impact social, éthique ou environnemental positif.
Adieu aux grosses cautions et aux garants
Sur la base de ses évaluations, Husmus propose une garantie locative adaptée à la situation de chaque personne. Une fois couvert, le locataire peut demander à signer un bail sans avoir à verser un important dépôt en espèces. On estime que 5 milliards de livres sterling sont actuellement immobilisés dans des dispositifs de caution locative au Royaume-Uni, de l’argent qui pourrait être mieux utilisé.
« Je connais des locataires qui ont dû renoncer à acheter de nouvelles chaussures pour leurs enfants afin d’économiser pour la caution », explique Sarah Wernér.
Elle précise qu’Husmus élimine également la nécessité, pour les locataires, de trouver des garants.
« On entend parfois des personnes dire : “Nous pourrons peut-être vous louer le bien si une personne de votre entourage, plus à l’aise que vous financièrement, comme votre mère ou votre père, peut se porter garante.” Mais que se passe-t-il si ce n’est pas le cas ? Et si vous n’avez pas de parents ? Et si vous venez d’arriver dans le pays ? Il y a tellement de raisons pour lesquelles vous pourriez ne pas être en mesure de le faire. Encore une fois, il s’agit d’une décision reposant sur un préjugé. »
Des avantages pour les propriétaires également
Les locataires ne sont pas les seuls à bénéficier des services d’Husmus. L’évaluateur des risques assisté par l’IA mis au point par la jeune pousse aide les propriétaires qui reçoivent des dizaines de demandes et ne disposent pas d’un moyen efficace de les passer au crible.
« Inutile de vous stresser en évaluant vous-même toutes ces personnes et en prenant les décisions initiales. Nous vous envoyons tout simplement une présélection et, voilà, c’est fait. »
Les évaluations d’Husmus peuvent mettre en évidence des détails à côté desquels passent les notes de crédit ; l’entreprise a même découvert une fraude à l’identité. Un propriétaire a écrit : « Votre évaluation comportementale est une très bonne nouvelle. J’ai loué à des personnes qui présentaient bien sur le papier et qui se sont révélées être un cauchemar et ont saccagé ma maison. C’étaient des médecins. »
Les propriétaires peuvent également souscrire une assurance recommandée par Husmus qui les protège contre le non-paiement du loyer ou les dommages causés à leurs biens. Sarah Wernér affirme que cela « leur permet d’être généreux, d’accepter des modes de vie différents et d’éviter d’être vraiment biaisés dans cette prise de décision ».
Une assurance inclusive
Tout cela n’est possible que grâce à l’adoption récente, par le Royaume-Uni et l’Union européenne, du modèle de la banque ouverte : il donne aux clients la propriété de leurs données financières et le droit de les partager avec des tiers, comme des sociétés de technologie financière, afin d’accéder à de nouveaux produits et services.
L’Union européenne et le Royaume-Uni ont également adopté de nouvelles réglementations visant à protéger les consommateurs, y compris les plus vulnérables, qui ont besoin de services financiers. Les principaux clients d’Husmus sont des compagnies d’assurance : elles ont la garantie d’assurer des locataires sélectionnés avec soin.
« Nous sommes arrivés au bon moment pour cette législation », affirme Sarah Wernér. « Les compagnies d’assurance peuvent même accroître leur rentabilité, car nous voyons à l’avance qui achète le produit. »
La plateforme d’Husmus est intégrée à plusieurs sites d’annonces immobilières. Lorsqu’une personne postule pour louer un logement, la plateforme demande l’autorisation d’accéder à ses données financières, les soumet à des algorithmes et les évalue immédiatement. Les candidats qui passent l’évaluation avec succès (ce qui est le cas de la plupart d’entre eux) reçoivent une note et un devis d’assurance. Husmus évite les problèmes de confidentialité en supprimant immédiatement ces données.
Inclusion sociale
En moins de trois ans, Husmus a aidé plus de 12 000 personnes à obtenir un logement. Environ 26 % d’entre elles sont « marginalisées sur le plan financier » : par exemple, elles n’ont pas des horaires de travail standard, ont une mauvaise note de crédit ou reçoivent une aide publique.
L’entreprise prévoit d’évaluer au moins 50 000 personnes en 2024 (ses partenariats lui donnent accès à plus d’un million de personnes) et de commencer à réaliser des bénéfices.
Pour le moment, Husmus opère uniquement au Royaume-Uni, mais elle prévoit de s’étendre à l’Allemagne, à la France et aux Pays-Bas d’ici à 2026. Sarah Wernér explique que la jeune pousse n’entend pas se limiter à l’assurance dans le secteur bancaire, mais qu’elle souhaite permettre la prise de décision assistée par l’IA dans les domaines des prêts et des hypothèques.
Le modèle d’Husmus pourrait être appliqué à plusieurs autres secteurs confrontés à des préjugés injustes, comme la recherche d’emploi.
« Pour l’instant, nous nous concentrons sur la prise de décision financière, afin que les gens puissent améliorer leur situation en matière de logement », explique-t-elle. « Mais qui sait vers quoi Husmus se tournera d’ici cinq à dix ans ? Tant qu’elle restera fidèle à son rôle d’entreprise à impact social, je serai satisfaite. »