« Dans la plupart des régions du monde, l’élevage de crevettes est une industrie à basse technologie, qui se trouve aujourd’hui au même stade que le secteur avicole dans les années 1960. »
Le grand problème des crevettes à pattes blanches, c’est qu’elles sont si savoureuses qu’on n’en a jamais assez. La demande de crevettes augmente de 8 % par an. En effet, compte tenu de la croissance démographique mondiale, ces délicieux crustacés riches en protéines et pauvres en matières grasses sont de plus en plus recherchés pour en faire des barbecues, des currys, des pâtes et des sautés et comme aliments de diètes cétogènes.
Mais répondre à cette demande entraîne un coût environnemental et social très élevé. Les crevettes à pattes blanches figurent sur la liste rouge des produits de la mer de Greenpeace International, en raison de leur lien avec la destruction des mangroves, la surpêche en milieu naturel, la pollution et d’importantes violations des droits humains dans certains pays.
La société Oceanloop, basée à Munich, entend remédier à ce problème. « Notre technologie d’élevage de crevettes en intérieur, entièrement automatisée, ne subit pas d’interruptions du fait des variations climatiques, de sorte que nous pouvons fonctionner jour et nuit, en hiver comme en été, presque partout dans le monde », déclare Fabian Riedel, directeur général de l’entreprise.
La société de technologie aquacole a mis au point un nouveau type d’élevage de crevettes qui permettra d’élever et de transformer sur terre des fruits de mer populaires dans des climats plus froids, comme celui de l’Europe, avec un impact environnemental minimal et des conditions optimales pour les animaux.
Des mangroves urbaines
Originaires de l’océan Pacifique oriental, les crevettes à pattes blanches sont les principaux fruits de mer issus d’élevages à l’échelle mondiale. Environ 5 millions de tonnes par an sont transformés dans le monde, principalement en Asie et en Amérique latine, via des chaînes d’approvisionnement multinationales qui traversent des pays comme l’Inde, la Thaïlande, le Viêt Nam, la Chine, le Mexique, l’Équateur et le Pérou. En conséquence, les consommateurs européens n’ont qu’une très vague idée de l’origine de leurs crevettes importées ou des conditions dans lesquelles elles ont été élevées et transformées.
Les élevages de crevettes d’Oceanloop constituent une réponse à ce problème, fondée sur la haute technologie. Alors que la plupart des crevettes sont élevées dans des bassins extérieurs circulaires, celles d’Oceanloop le sont dans un long réservoir intérieur climatisé où elles sont réparties en fonction de leur âge grâce à des cloisons mobiles. On trouve dans les sections des empilements de strates horizontales, afin que les animaux puissent se reposer comme ils le feraient dans leur habitat naturel. L’eau est filtrée et réinjectée, dans un processus en boucle fermée alimenté en partie par de l’énergie renouvelable, de sorte qu’aucun antibiotique ou autre produit pharmaceutique n’est nécessaire.
La technologie place également le bien-être animal au cœur des préoccupations.
« Il y a quelques années, nous avons remarqué que lorsque les crevettes atteignent une certaine taille, elles ont tendance à passer beaucoup de temps au fond du réservoir », explique Fabian Riedel. « C’est un phénomène qui se produit à l’état sauvage, mais que l’on n’observe pas dans les élevages traditionnels en raison du manque d’espace. Nos “mangroves urbaines” sont comme des gratte-ciel sous-marins, ce qui donne aux crevettes beaucoup plus d’espace pour se détendre. Cela a rendu notre système de production beaucoup plus efficace parce que les crevettes l’adorent. »
L’entreprise surveille également la santé et le comportement des crevettes en temps réel, grâce à des caméras et à l’intelligence artificielle afin de détecter des signes de tension ou de maladie.
- En savoir plus sur les autres entreprises aquacoles soutenues par la BEI.
Les crevettes sont également victimes des changements climatiques
Du fait des changements climatiques, les méthodes de production aquacole intelligentes et durables revêtent une importance croissante pour les crevettes et les autres fruits de mer.
La production en Inde a pâti cette année de vagues de chaleur, car la hausse des températures a réduit le niveau d’oxygène dans les bassins extérieurs.
De graves inondations liées aux changements climatiques ont également endommagé des fermes au Viêt Nam, dans le delta du Mékong et dans d’autres régions du monde.
Afin de réduire leur impact sur le climat et l’environnement, les exploitations d’Oceanloop sont conçues en tenant compte des principes de l’économie circulaire. Les carapaces et les têtes des crevettes, souvent jetées au cours de la transformation, servent à faire de la soupe, tandis que les déchets des fermes, y compris les exosquelettes dont les crevettes se débarrassent durant leurs mues, sont transformés en engrais et en biogaz.
À la carte de restaurants étoilés
Les crevettes d’Oceanloop sont déjà vendues dans des restaurants et en ligne par l’intermédiaire d’Honest Catch, sa plateforme de commerce numérique à destination des entreprises et des consommateurs, qui propose divers produits de la mer durables. Ces produits de grande qualité ont fait de nombreux adeptes, notamment Alexander Herrmann, célèbre chef récompensé par le guide Michelin que l’on voit à la télévision, et Jason Grom, également chef étoilé, qui sert les fruits de mer d’Oceanloop dans son restaurant, Die Burg, à Donaueschingen, en Allemagne.
L’entreprise cherche désormais à accroître sa production, d’abord en agrandissant son projet pilote à Kiel, sur la côte allemande de la mer Baltique, puis en mettant en service une nouvelle ferme beaucoup plus grande sur l’île de la Grande Canarie, en Espagne, qui sera alimentée aux énergies éolienne et solaire.
Pour financer les plans ambitieux de l’entreprise, la Banque européenne d’investissement a mis 35 millions d’euros à disposition sous forme de prêt d’amorçage-investissement, à savoir un prêt à long terme destiné à aider les entreprises en phase de démarrage et en croissance à se développer sans diluer la participation des actionnaires.
Ce financement est appuyé par une garantie d’InvestEU, le programme phare de l’Union européenne visant à stimuler les investissements dans des secteurs stratégiques.
- Prêt d’amorçage-investissement : de quoi parle-t-on ? En savoir plus ici.
Il est crucial d’accroître la production pour que l’entreprise réduise ses coûts et concurrence les importations moins chères. Grâce au financement de la Banque européenne d’investissement, la production de l’usine d’Oceanloop à Kiel passera de 5 tonnes à 60 tonnes par an, et la nouvelle installation prévue dans les îles Canaries aura à terme une capacité annuelle de 2 000 tonnes.
« La technologie innovante d’Oceanloop est parfaitement logique et répond à tous les problèmes actuellement liés à l’élevage de crevettes », déclare Ilaria Rubbini, chargée de prêts à la Banque européenne d’investissement. « Pour concurrencer les importations moins chères, l’entreprise doit toutefois se développer. Le prêt d’amorçage-investissement ou l’apport de fonds propres est vraiment la seule solution pour une entreprise de ce type. »
« Ses crevettes sont aussi très bonnes », ajoute-t-elle. « J’adore le poisson, mais pas vraiment les crevettes. Mais nous les avons essayées de trois ou quatre façons différentes et c’était vraiment délicieux. »