L’ingénieur en chef Ilya de Marotta achève un vaste projet d’extension du canal de Panama
Un célèbre palindrome a été inventé en 1948 : « A man, a plan, a canal – Panama ». Si l’on met ce trait d’esprit au goût du jour en 2016, on ne peut plus le lire de la même manière dans les deux sens. Les plans du canal de Panama sont désormais dessinés par une femme qui porte un casque de chantier rose et qui est sur le point d’achever l’un des plus grands projets d’infrastructure au monde.
Ilya Espino de Marotta est la vice-présidente exécutive de l'Autorité du canal de Panama chargée de l’ingénierie et de la gestion des programmes. Elle a été nommée en 2012 pour superviser la plus grande opération de modernisation du canal depuis son ouverture en 1914. Ilya a dû surmonter les critiques de ceux qui doutaient de ses capacités, dans une profession à prédominance masculine. Mais elle a rempli sa mission et les immenses nouvelles écluses à chaque extrémité de l’ouvrage de 77 km seront inaugurées le 26 juin.
« Certains hommes ont remis ma nomination en question, mais cela ne m’émeut pas. Je porte un casque de chantier rose pour montrer qu’une femme peut aussi faire ce travail », déclare-t-elle.
Le projet d’extension du canal, d’un coût de 5,2 milliards d'USD, comprend la construction des écluses, l’élargissement et l’approfondissement de l’ancien canal et l’excavation d’un nouveau chenal de navigation de 6,3 km destiné aux gros navires actuels, capables de transporter 14 000 conteneurs simultanément. Cette modernisation est vitale non seulement pour le Panama, mais aussi pour le commerce mondial. C’est la raison pour laquelle la Banque européenne d’investissement a accordé un prêt de 500 millions d’USD pour contribuer à son financement.
Une admiratrice du Commandant Cousteau devenue ingénieur travaillant sur le canal de Panama
La passion d’Ilya pour l'eau vient d’une fascination d’enfance pour la plongée et le travail de Jacques Cousteau, l’explorateur et cinéaste français. « J’adore l’océan. C'est toute ma vie », dit-elle.
Au cours de son premier cycle d’études universitaires, elle étudie l’ingénierie marine à la Texas A&M University et obtient ensuite une maîtrise en ingénierie économique à la Universidad Católica Santa María La Antigua au Panama.
Dans le cadre de son premier emploi sur le canal, elle travaille dans le département d’ingénierie du chantier naval où est assurée toute la maintenance des équipements flottants, notamment les remorqueurs, les vedettes, les grues flottantes et les chalands. Elle travaille pour l’Autorité du canal de Panama depuis près de 30 ans et sur le projet d’extension depuis 2002.En 2007, elle est nommée directrice générale du département ressources et contrôle des projets avant de diriger l’ensemble de l’opération d’extension en 2012.
« Son histoire est pour moi une source d’inspiration. Il n’est pas commun de trouver une femme ingénieur chargée d’un ouvrage d’infrastructure aussi immense », déclare Inge Vermeersch, l’ingénieur portuaire belge qui supervise le projet Panama pour le compte de la BEI.
Un mois mémorable pour des écluses qui feront date
L’inauguration des nouvelles écluses du canal de Panama clôture un mois mémorable pour l’engagement de la BEI à l’appui d’infrastructures marines massives. Au début du mois de juin, la ville belge d’Anvers a inauguré l’écluse Kieldrecht, qui a supplanté l’écluse Berendrecht sur l’autre rive de l’Escaut en tant que plus grande infrastructure de ce type au monde, grâce à l’appui d’un prêt de 160,5 millions d’EUR de la BEI.
Les nouvelles écluses du canal de Panama s’inspirent de l’écluse Berendrecht dans leur conception et des ingénieurs européens, notamment l’entreprise belge qui a réalisé l’ouvrage anversois, ont participé à la mise en œuvre du projet en première ligne. Toutefois, alors que l’écluse Berendrecht a été conçue pour assurer le transfert de navires dans des conditions de marée de six mètres dans l’Escaut, les écluses du canal de Panama doivent lever des navires sur un dénivelé de 26 mètres entre l’Atlantique et le Pacifique.
Un ingénieur féminin et d’autres femmes assurent l’avenir du canal de Panama
La BEI s’est engagée dans le projet d’extension du canal en 2008, aux côtés de plusieurs autres institutions financières internationales, telles que :
- la Banque interaméricaine de développement ;
- International Finance Corp ;
- la Banque japonaise de coopération internationale ;
- Corporacion Andina de Fomento.
Susan Antz, chargée de prêts à la BEI, a participé à la mise en œuvre de cette opération. Elle fait remarquer que lors des négociations, toutes ces institutions financières internationales étaient représentées par des femmes. « Il est bon que l’ingénieur en chef soit également une femme », déclare-t-elle. De fait, l’ensemble de l’équipe de la BEI collaborant au projet et à son suivi était composée de femmes.
Son travail ne se limite pas à l’eau
Le travail d’Ilya sur le canal lui a permis de réussir dans d’autres secteurs généralement associés à des professionnels masculins. D’anciennes bases militaires américaines du Panama restent abandonnées en raison de grandes quantités d’explosifs enfouies juste sous la surface du sol. Le projet a dû faire face à de nombreuses difficultés, notamment l’enlèvement de ces munitions, l’aménagement paysager de ces bases et l’excavation de 150 millions de mètres cubes de terre afin d’élargir suffisamment les chenaux de navigation du canal pour les imposants navires actuels.
Les bases militaires accueilleront désormais des entreprises liées au canal. Ilya ne revendique pas la paternité de cette idée. C’est son mari, Peter Marotta, capitaine d’une drague de canal, qui l’a imaginée.
Collée à sa Bible
Alors qu’elle pilotait l’achèvement de ce projet complexe, Ilya a été confrontée à une crise dans sa vie privée qui aurait pu déstabiliser le professionnel le plus dévoué. En 2010, son fils a été traité pour un cancer des os. Elle a passé la plus grande partie de l’année à ses côtés dans un hôpital de New York, où son mari était également traité pour un cancer de la prostate. Chaque mois, elle rentrait au Panama pour superviser les travaux du canal pendant une semaine.
« C’était une pression énorme », se rappelle-t-elle. « J’étais collée à ma Bible. Dieu m’a soutenue et l’année s’est bien terminée. » Son fils et son mari sont tous deux en rémission. Peter Marotta a pris sa retraite l’année dernière, après 42 ans sur le canal.
Une figure d’exemple avec des compétences de direction
Toutes ces expériences ont fait d’Ilya un solide exemple à suivre. « Je suis très fière de parler de ma carrière avec des femmes. J’ai des compétences de direction. Je suis assez démocrate. J’incite les gens à se rassembler », dit-elle.
Mais le travail d’Ilya se poursuivra lorsque les énormes navires commenceront à traverser les nouvelles écluses. Du côté Atlantique du canal, elle supervise la construction d’un pont doté d’un tablier principal de 530 mètres. Le casque de chantier rose sera encore visible sur les eaux bleues du canal pendant un certain temps.