La crise sanitaire a creusé les inégalités. Afin d’aider les régions moins développées à rattraper leur retard, la politique de cohésion de l’UE, à l’issue de la pandémie, doit combler les déficits d’investissement en associant les financements au renforcement des capacités en matière de planification des projets et de politiques visant à lever les obstacles à l’investissement.
Par Patricia Wruuck, Julie Delanote, Peter McGoldrick, Emily Sinnott et Debora Revoltella
Les divergences croissantes entre populations et régions, au sein de l’Union européenne, à la suite de la crise financière mondiale et de la crise de la dette souveraine dans l’UE, ont suscité de sérieuses inquiétudes quant à une perte de confiance dans les institutions européennes, ainsi que dans les territoires « laissés pour compte ». En dehors du choc provoqué par la crise, la pression sur les inégalités s’est intensifiée en raison des tendances de fond que sont notamment le vieillissement, les technologies numériques, la concurrence mondiale, les changements climatiques et la pollution. Peut-il en être autrement cette fois-ci ?
La pandémie de COVID-19 a entraîné un certain creusement des inégalités, se manifestant par exemple sous la forme de pertes d’emplois concentrées dans certains secteurs ou de conséquences sanitaires différentes selon les catégories sociales. Dans le même temps, elle a provoqué le déploiement de grands programmes d’aide publics et d’appui de l’UE visant à protéger les investissements publics et les transferts de capitaux, à soutenir les entreprises et les ménages et à atténuer les risques d’un ralentissement prolongé de l’investissement. Par ailleurs, l’UE s’est engagée en faveur d’un programme commun pour la relance axé sur la transition verte et numérique. La mesure dans laquelle ces dispositions atténueront les risques d’augmentation des inégalités, au lendemain de la pandémie, dépend notamment du soutien apporté à la cohésion.
Soutenir la cohésion dans le contexte de l’après-pandémie
La nouvelle politique de cohésion de l’Union européenne vise à garantir que toutes les régions de l’UE puissent prendre part à la transition écologique et numérique. Les fonds de la politique de cohésion destinés à renforcer la capacité des économies de l’UE à faire face aux changements structurels à long terme, ainsi que l’enveloppe de financement Next Generation EU, qui vise à lancer la reprise, s’élèvent à plus de 1 000 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Cependant, le succès du soutien au rattrapage économique et à la convergence dépendra de la possibilité d’acheminer les ressources vers des investissements qui comblent efficacement les lacunes.
Nous utilisons les données de l’enquête auprès des municipalités de la Banque européenne d’investissement et de l’enquête annuelle de la BEI sur l’investissement (EIBIS) ciblant les entreprises de toute l’UE pour mettre en lumière les besoins d’investissements publics et privés, les lacunes et les capacités locales de progresser dans la transition vers une économie intelligente et verte. Parmi les régions NUTS2, l’analyse établit une distinction entre celles dont le PIB par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne de l’UE (régions moins développées), ou se situe entre 75 et 100 % (régions en transition) et celles dont le PIB est supérieur à la moyenne de l’UE (régions ne relevant pas de l’objectif de cohésion).
Comment les régions relevant de l’objectif de cohésion sont-elles positionnées ?
Nos résultats montrent qu’un faible PIB par habitant coïncide généralement avec des niveaux d’investissement insuffisants. Le manque d’infrastructures de base est plus marqué et plus fréquent dans les municipalités relevant de l’objectif de cohésion, en particulier dans les régions moins développées. On y observe des lacunes en matière d’infrastructures de base, notamment concernant les transports urbains, les infrastructures sociales et les services collectifs d’approvisionnement en eau et de traitement des déchets (figure 1). Par exemple, les municipalités ne relevant pas de l’objectif de cohésion sont moins susceptibles (de 33 %) de faire état de carences que les régions moins développées. Moins de 1 % estiment que les investissements dans les services collectifs de distribution d’eau et de traitement des déchets font cruellement défaut, contre quelque 10 % pour les régions relevant de la politique de cohésion.
Figure 1 – Déficits d’investissement au niveau municipal (pourcentage de municipalités déclarant de tels déficits)
Pour progresser dans la chaîne de valeur, les entreprises des régions relevant de la politique de cohésion devront augmenter leurs volumes d’investissement et modifier la composition de ces derniers. À cet égard, les entreprises accusent un retard d’investissement dans la recherche-développement et les actifs incorporels clés. Elles consacrent également une moindre part de leurs investissements à des activités axées sur l’innovation. Alors que davantage d’entreprises déclarent avoir sous-investi, ce qui dénote un retard à combler, les données issues de l’EIBIS montrent qu’en fait, le nombre d’entreprises qui investissent est inférieur dans les régions relevant de l’objectif de cohésion (79 % dans les régions moins développées et 85 % dans les régions en transition, contre 87 % dans les régions ne relevant pas de l’objectif de cohésion). Parallèlement, les entreprises des régions relevant de l’objectif de cohésion connaissent un environnement d’investissement qui pose plus de problèmes, y compris des difficultés plus marquées pour accéder aux financements (figures 2 et 3).
Figure 2 – Part des entreprises signalant des obstacles, par région
Figure 3 – Part des entreprises qui expriment leur insatisfaction quant aux conditions de financement
Lutte contre les changements climatiques
Les municipalités et les entreprises des régions relevant de la politique de cohésion montrent de l’intérêt pour un renforcement des investissements visant à relever le défi climatique, mais leurs capacités sont limitées. Les municipalités les plus pauvres affichent d’importants besoins en investissements liés aux changements climatiques. Environ 75 % des municipalités moins développées font état de déficits d’investissement dans l’atténuation des effets des changements climatiques, par exemple en vue de réduire les émissions grâce à l’efficacité énergétique, ainsi que dans l’adaptation aux changements climatiques.
Les entreprises situées dans les régions relevant de l’objectif de cohésion sont sensibilisées aux défis liés au climat, mais elles sont moins nombreuses à investir dans des mesures d’efficacité énergétique (43 % dans les régions moins développées et 47 % dans les régions en transition, contre 49 % dans les régions ne relevant pas de l’objectif de cohésion) et à disposer d’un membre du personnel qui se consacre aux stratégies de lutte contre les changements climatiques (15 %, 20 %, contre 24 %).
Pour les municipalités et les entreprises des régions relevant de l’objectif de cohésion, le manque de financements constitue un obstacle important pour relever le défi climatique. Selon les trois quarts des municipalités, le manque de moyens financiers est l’un des deux principaux obstacles à l’investissement dans les infrastructures vertes (figure 4). Pour les entreprises, l’accès aux financements, les coûts des investissements et les incertitudes concernant la réglementation sont des obstacles majeurs à la mise en œuvre d’investissements visant à s’attaquer aux défis climatiques.
Figure 4 – Obstacles aux investissements verts des municipalités (en pourcentage par motif)
L’engagement dans la double transition mettra probablement en lumière des contraintes de capacité dans les régions relevant de l’objectif de cohésion. Les plans d’investissement des municipalités montrent qu’elles tiennent à combler les lacunes en matière d’investissements verts. Toutefois, augmenter le nombre de projets écologiques nécessitera de l’innovation, une bonne compréhension des exigences réglementaires et la maîtrise d’un plus haut degré de complexité. Et pourtant, les municipalités des régions relevant de l’objectif de cohésion accusent un retard en matière de capacités vertes (figure 5). De même, pour les entreprises, le renforcement de leur capacité interne d’entreprendre des investissements verts sera essentiel pour concrétiser les ambitions d’investissement en faveur de l’écologisation.
Figure 5 – Part des municipalités dont la capacité verte est limitée (en pourcentage)
Qu’est-il nécessaire d’entreprendre pour promouvoir la convergence ?
Pour réduire les déficits d’investissement, il faut des financements, mais les financements ne suffiront pas, à eux seuls. Pour favoriser un rattrapage économique durable au profit des régions relevant de la politique de cohésion, l’appui stratégique doit se concentrer sur la résolution des problèmes d’infrastructure de base, dans le respect du climat, sur le soutien aux activités d’investissement qui aident les entreprises des régions relevant de la politique de cohésion à progresser dans la chaîne de valeur, et il doit combler à la fois le manque de financements et de capacités en matière de planification et de mise en œuvre, afin de maximiser l’impact de toutes ces mesures de soutien.
Patricia Wruuck et Julie Delanote sont économistes à la Banque européenne d’investissement. Peter McGoldrick est économiste principal à la BEI. Emily Sinnott pilote la division Politique et stratégie du département Analyses économiques de la BEI et Debora Revoltella est directrice de ce département.
Les opinions exprimées dans cet article reflètent les avis personnels des auteurs et ne peuvent en aucun cas être considérées comme une prise de position officielle de la Banque européenne d’investissement.