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Investir dans le renouvelable

La seule voie à suivre

 

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a contraint l’Europe à accélérer sa transition énergétique. En 2023, les États membres de l’UE ont investi près de 110 milliards d’euros dans des projets relatifs aux énergies renouvelables. Toutefois, cela ne suffit pas. Voici comment atteindre les objectifs de l’UE en matière de climat.

Dans le sud de l’Estonie, 38 éoliennes dominent une terre autrefois riche en tourbe qui, une fois récoltée, était séchée puis brûlée comme combustible. L’Estonie s’attache à mettre progressivement fin à cette pratique. Le brûlage de la tourbe libère une grande quantité de carbone et son extraction nuit aux sources d’eau ainsi qu’à la faune et à la flore.

Cette terre accueillera en lieu et place le plus grand parc éolien jamais installé dans les pays baltes. Construit par Enefit Green, ce parc de Sopi-Tootsi fournira suffisamment d’énergie verte pour alimenter chaque année 197 000 foyers, soit environ 10 % des besoins en électricité de l’Estonie.

La centrale éolienne de Sopi-Tootsi s’inscrit dans le cadre de la transition de l’Estonie vers les énergies renouvelables. Fortement dépendant de l’huile de schiste à forte intensité de carbone, le pays recherche désormais d’autres solutions plus propres. Il veut produire 100 % de son électricité à partir de sources renouvelables d’ici à 2030.

« Lorsque j’ai commencé à travailler dans le domaine des parcs éoliens, ceux-ci étaient considérés comme des vestiges obsolètes d’un ancien régime de subventions, et il n’était pas populaire de les développer », explique Lauri Ulm, responsable du développement éolien chez Enefit Green, une entreprise qui met en œuvre des projets relatifs aux énergies renouvelables dans les pays baltes et en Pologne. Ces projets n’ont plus besoin de subventions pour concurrencer les combustibles fossiles. « La situation évolue et notre projet en est la parfaite illustration. »

En 2023, les États membres de l’UE ont investi près de 110 milliards d’euros dans la production d’énergies renouvelables. L’Europe consacre aujourd’hui dix fois plus d’argent aux énergies propres qu’aux combustibles fossiles. Ces projets témoignent de la ferme volonté de l’Europe de passer aux énergies vertes et de mettre fin à sa dépendance à l’égard de sources étrangères. « Les énergies renouvelables présentent l’avantage de ne nécessiter l’importation d’aucune source d’énergie primaire », précise Alessandro Boschi, chef de la division Énergies renouvelables à la Banque européenne d’investissement. « On utilise le vent, le soleil, l’eau. Toutes ces sources sont disponibles à l’échelle locale. »

Certains projets, comme le parc éolien de Sopi-Tootsi, avaient débuté bien avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine en 2022, un événement qui a entraîné une flambée des prix de l’énergie. Ils s’inscrivaient dans le contexte des efforts déployés par l’Europe pour atteindre son ambitieux objectif climatique de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % à l’horizon 2030. D’autres, en particulier les projets solaires et éoliens, ont bénéficié d’un nouveau soutien au titre de la Facilité pour la reprise et la résilience, dotée de 648 milliards d’euros issus des fonds de l’UE pour aider les pays à se remettre de la pandémie. Plus de 40 % de ces fonds appuient la transition écologique.

Fotios Kalantzis, économiste à la Banque européenne d’investissement, dit s’attendre à un boom de l’énergie solaire dans les prochaines années quand les entreprises et les ménages réagiront à la persistance du prix élevé de l’électricité. « La crise énergétique entraînera un changement important du côté de la demande », affirme-t-il. « Bien que des subventions aux combustibles fossiles subsistent, le prix élevé de l’énergie au détail constitue une incitation supplémentaire à investir. »

Si l’on examine plus largement les investissements dans la transition énergétique – non seulement concernant les énergies renouvelables, mais aussi le stockage de l’énergie, les réseaux électriques, les transports électrifiés, le transport maritime et l’industrie propres, les technologies de captage du carbone, l’hydrogène et l’énergie nucléaire – l’Union européenne a investi à cet égard 360 milliards de dollars en 2023 après y avoir consacré 267 milliards de dollars en 2022. Plus de 500 milliards de dollars ont donc été investis dans la transition énergétique rien que ces deux dernières années.



« On utilise le vent, le soleil, l’eau. Toutes ces sources sont disponibles à l’échelle locale. »
Alessandro Boschi

Chef de la division Énergies renouvelables à la Banque européenne d’investissement

Un signal d’alarme

La guerre en Ukraine a provoqué une prise de conscience du défi énergétique à l’échelle de l’Europe. Environ un quart de l’énergie consommée en Europe repose sur le gaz naturel et, avant la guerre en Ukraine, une grande partie de celui-ci provenait de Russie. L’Europe a eu besoin de nouvelles sources de gaz naturel, et cela rapidement.

L’Union européenne a comblé le vide russe par des importations en provenance des États-Unis et de Norvège. L’Allemagne a construit des terminaux pour stocker du gaz naturel liquéfié. Les importations européennes d’énergie ont ainsi connu une profonde refonte. Avant la guerre en Ukraine, le gaz importé en Europe provenait pour 45 % de Russie. En 2023, ce pourcentage avait diminué de deux tiers, s’établissant à 15 %.

La hausse du prix de l’énergie a également incité l’Europe à accélérer sa transition écologique. Les énergies renouvelables ont vu leur part doubler dans la consommation d’énergie de l’UE entre 2004 et 2022, mais elles ne représentent toujours qu’environ un cinquième de la consommation totale.

En 2023, l’Union européenne a relevé son objectif pour 2030 en matière d’énergies renouvelables, qui est passé de 32 % (fixé en 2018) à 42,5 % de la consommation d’énergie, le but ultime étant d’atteindre 45 %. En plus de relever cet objectif, l’Union européenne a également pris des mesures pour faciliter les investissements dans les énergies propres, notamment dans les parcs éoliens et solaires, au moyen d’une directive exigeant des États membres qu’ils accordent la priorité aux projets privilégiant les énergies renouvelables lors de la délivrance des autorisations.

« La dynamique en faveur des énergies renouvelables existait déjà, mais la gravité de la crise énergétique et les conséquences pour la sécurité ont pris encore davantage d’importance dans les priorités politiques », souligne Alessandro Boschi, de la Banque européenne d’investissement.

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Qu’est-ce que le plan REPowerEU ?

L’Union européenne entend réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. C’est une aubaine pour les énergies renouvelables. Il en va de même de l’intérêt croissant des investisseurs envers les projets écologiques.

Malgré cet enthousiasme, l’Europe reste attachée au gaz naturel qu’elle considère comme une source d’énergie stable pendant qu’elle s’attaque aux problèmes plus épineux liés aux sources d’énergie renouvelables, à savoir notamment l’alimentation des réseaux électriques en l’absence de vent ou de soleil.

La crise de l’énergie a poussé l’Union européenne à examiner de près la quantité de gaz naturel dont elle a besoin. Le plan REPowerEU, adopté en 2022, vise à réduire la demande de gaz de 155 milliards de mètres cubes. Ce volume équivaut à la quantité de gaz importée de Russie en 2021. Cette réduction est supérieure d’un tiers à celle initialement envisagée au titre de l’objectif européen à l’horizon 2030.

Dans le cadre du plan REPowerEU, l’Europe réduira sa demande de gaz en renforçant sa capacité en matière d’énergies renouvelables, en améliorant les réseaux électriques et le stockage de l’énergie et en augmentant l’efficacité énergétique. La Banque européenne d’investissement soutient REPowerEU par un financement supplémentaire de 45 milliards d’euros en faveur du secteur de l’énergie jusqu’en 2027. Ce concours devrait permettre la mobilisation de nouveaux investissements à hauteur de 150 milliards d’euros à l’appui des énergies propres.



Un choc énergétique inégal

Les pays européens ont absorbé le choc énergétique de manière très différente. Certains d’entre eux, notamment en Europe occidentale et septentrionale, n’ont guère ressenti de répercussions grâce à l’énergie éolienne et solaire qu’ils exploitent depuis des décennies. Le Danemark, qui satisfait plus de quatre cinquièmes de ses besoins énergétiques en recourant aux énergies renouvelables produites localement, s’en est assez bien tiré.

Le choc a frappé beaucoup plus durement l’Europe centrale et orientale. Cette partie du continent présentait deux faiblesses majeures : elle dépendait fortement des importations de pétrole et de gaz russes et son industrie était très énergivore. En outre, elle a été beaucoup plus lente à tirer parti des énergies renouvelables, en partie à cause du charbon disponible sur le marché intérieur. Par conséquent, un grand nombre de pays d’Europe centrale et orientale ont vu leur inflation grimper à un taux égal ou supérieur à 10 %. Le risque de pauvreté a augmenté et les personnes ont peiné à chauffer leur logement en hiver. 

Ces pressions ont fait évoluer le point de vue des habitants d’Europe centrale à l’égard des combustibles fossiles, même en Estonie, un pays qui bénéficiait d’une énergie produite localement – à savoir, des biocarburants, de l’huile de schiste et une petite proportion d’énergies renouvelables. « Les répercussions des prix élevés du marché nous ont beaucoup aidés à accepter les sources d’énergie renouvelables », explique Lauri Ulm, responsable du parc éolien de Sopi-Tootsi. Il estime que le prix de l’électricité a quadruplé à un moment donné. « Cela a ouvert les yeux de la population estonienne. Elle a constaté notre besoin de nouvelles sources d’électricité et que les énergies renouvelables constituaient la meilleure solution. »

« Les répercussions des prix élevés du marché nous ont beaucoup aidés à accepter les sources d’énergie renouvelables. »

Lauri Ulm
Responsable du développement éolien chez Enefit Green

Outre celui de Sopi-Tootsi, un nouveau parc éolien terrestre est prévu en Lituanie et un autre parc éolien marin au large de la Pologne. La Banque européenne d’investissement soutient ces trois sites éoliens, ainsi qu’une foule d’autres investissements visant à valoriser les énergies renouvelables, à moderniser les réseaux énergétiques et à intégrer des sources durables comme la biomasse dans les systèmes de chauffage.

« Certains pays d’Europe occidentale, notamment la France, l’Allemagne et l’Espagne, recouraient déjà à beaucoup d’énergies renouvelables », ajoute Alessandro Boschi, de la Banque européenne d’investissement. « L’évolution la plus importante concerne les pays d’Europe centrale et orientale, ce qui est vraiment positif parce qu’ils étaient plus réticents à opérer ce changement. »

Certaines régions de l’UE sont tributaires des combustibles fossiles et ont davantage à perdre pendant la transition écologique. Pour remédier à ce problème, l’Union européenne a mis en place le mécanisme pour une transition juste qui comprend un fonds de 19,2 milliards d’euros destiné à amortir les contrecoups socio-économiques de la transition en facilitant les investissements notamment dans les énergies vertes, la formation professionnelle ou les logements économes en énergie.



Comment le prix du carbone stimule l’innovation

Des prix élevés sont un moyen extrêmement efficace pour modifier les comportements. Le rapport 2023-2024 de la BEI sur l’investissement a examiné l’effet de la hausse constante du prix du carbone sur les entreprises, leur innovation et leurs efforts de décarbonation.

En 2005, l’Union européenne a introduit le système d’échange de quotas d’émission, le premier grand marché du carbone dans le monde. Les entreprises relevant de ce système se voient allouer un certain nombre de quotas qui représentent leurs droits d’émettre une quantité spécifique de gaz à effet de serre. Si une entreprise génère moins d’émissions que les quotas qui lui ont été alloués, elle peut vendre le surplus à d’autres entreprises. Si elle dépasse ses quotas, elle doit en acheter d’autres sous peine d’encourir des amendes.

À l’origine, l’Union européenne accordait gratuitement des quotas d’émission de carbone à certaines entreprises manufacturières pour les dissuader de déplacer leur production hors d’Europe. Bon nombre de ces quotas ont été progressivement supprimés au fil du temps.

Les économistes de la Banque européenne d’investissement ont étudié le comportement des entreprises manufacturières relevant du système lorsque les quotas gratuits se sont taris et que le prix du carbone a augmenté. Leurs recherches montrent que les entreprises exposées à un prix plus élevé ont décarboné leurs activités plus rapidement, principalement parce qu’elles ont investi dans l’innovation et une chaîne de production plus efficace. Ces entreprises ont réussi à absorber la hausse de leurs coûts sans augmenter considérablement leurs prix ni perdre de clients.

Dans l’ensemble, le secteur manufacturier a été plus lent à se décarboner que d’autres filières, telles que la production d’électricité. 

Cette étude a révélé que les entreprises en avance à cet égard avaient tendance à considérer la transition écologique comme une opportunité commerciale et étaient plus innovantes, plus réactives à la pression des investisseurs et plus transparentes quant à leurs efforts de décarbonation. Les entreprises manufacturières relevant du système ont été invitées à évaluer leurs efforts de décarbonation par rapport à leurs homologues.

Les entreprises à la traîne, cependant, étaient également plus enclines à anticiper une baisse de leur production.

Tout brille pour le solaire

L’Europe a adopté en masse l’énergie solaire au début des années 2000. Des pays comme l’Allemagne et l’Espagne ont construit le marché en accordant de généreuses subventions aux producteurs d’énergie solaire, souvent au moyen de tarifs de rachat qui ont aidé le secteur du solaire à concurrencer celui du gaz sur les marchés de l’électricité.

Alors que la Chine a remporté la plus grande part du marché de la fabrication de panneaux solaires, les entreprises européennes créées lors des précédents booms du solaire aident aujourd’hui à déployer les installations photovoltaïques. Il en résulte une expansion rapide de l’électricité produite à partir de l’énergie solaire. L’Allemagne se classe au quatrième rang mondial s’agissant de la capacité solaire installée, derrière la Chine, les États-Unis et le Japon. L’Espagne produit 14 % de son électricité grâce au soleil. 

« Même si nous avons perdu la fabrication des panneaux solaires, il y a encore beaucoup de valeur à exploiter dans le reste de la chaîne », constate Ignacio Antón, chercheur principal à l’Institut d’énergie solaire de l’Université polytechnique de Madrid. « Et, bien évidemment, tout le soutien reçu au début du XXIe siècle a contribué à construire ce secteur. »

La capacité solaire a augmenté d’environ 60 % entre 2021 et 2023, tandis que l’énergie éolienne a gagné environ 18 %. L’Europe produit aujourd’hui plus de 40 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables, l’éolien et le solaire représentant à eux seuls près de 30 %. Globalement, l’électricité issue de l’énergie solaire et éolienne est actuellement moins chère que l’électricité produite à partir de gaz.

Les cycles d’expansion et de ralentissement ont secoué le secteur de l’énergie solaire au cours des deux dernières décennies. Toutefois, ce secteur est à nouveau en pleine forme et en plein essor. 3Sun, le fabricant italien de cellules photovoltaïques, construit une énorme usine de panneaux solaires à Catane, en Sicile, en s’appuyant sur un financement de 560 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement et d’un consortium bancaire italien. La giga-usine produira des panneaux solaires haute performance qui captent la lumière du soleil des deux côtés. 3Sun devrait produire chaque année suffisamment de panneaux solaires pour alimenter un million de foyers.

Les panneaux solaires se multiplient sur les toits des maisons particulières, ainsi que sur ceux des immeubles de bureaux, des grands entrepôts et des centres logistiques.

L’une des entreprises qui installent des panneaux solaires à grande échelle est CTP, le plus grand propriétaire et gestionnaire de centres logistiques en Europe. CTP entend installer des panneaux solaires sur les toits de tous les bâtiments qu’elle exploite, principalement dans les pays d’Europe centrale et orientale comme la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie.

Au total, les toitures de CTP occupent 11 millions de mètres carrés. L’entreprise prévoit que les panneaux solaires sur ces toits pourraient produire jusqu’à 400 mégawatts d’énergie d’ici à la fin de 2026, soit assez pour alimenter environ 80 000 habitations. La Banque européenne d’investissement soutient ce projet solaire au moyen d’un prêt de 200 millions d’euros, dans le contexte de la contribution de la BEI à REPowerEU.

« Nous considérons l’énergie comme la troisième unité opérationnelle de l’entreprise », explique Maarten Otte, responsable des relations avec les investisseurs au bureau de CTP à Prague.



Pourquoi le prix de l’électricité était-il si élevé ?

Alors que le prix du gaz naturel a baissé depuis 2022, celui de l’électricité est resté dans une large mesure élevé dans l’UE.  

« C’est le paradoxe », observe Fotios Kalantzis, économiste spécialiste de l’énergie. « Lorsque les prix des matières premières augmentent, les prix de détail explosent. Cependant, lorsque les prix des matières premières baissent, les prix de détail descendent doucement. »

L’explication réside dans la façon dont le prix de l’électricité est fixé. Les États membres de l’UE dépendent tous d’un bouquet énergétique distinct pour alimenter leurs réseaux électriques (énergies renouvelables, combustibles fossiles, nucléaire, etc.). Les prix sont fixés par un système de tarification reposant sur le prix marginal : en d’autres termes, les producteurs d’énergie, comme les centrales solaires ou les parcs éoliens, proposent leur énergie au marché de l’électricité qui achète en premier lieu la source la moins chère.

Cependant, pour répondre à la demande, les réseaux électriques doivent se procurer de l’électricité auprès de plusieurs sources différentes et la source finale d’énergie est celle qui détermine le prix à la consommation.

En Europe, le prix de l’électricité tend à être fixé par le cours du gaz naturel, ce dernier étant encore utilisé pour produire environ 20 % de l’électricité dans l’Union européenne. L’avantage des centrales au gaz est qu’elles génèrent de l’électricité rapidement. Par conséquent, elles peuvent répondre aux fluctuations de la demande et éviter des pannes d’électricité.

Le prix de l’électricité dans l’UE restera lié à celui du gaz naturel pendant un certain temps, bien que les énergies renouvelables moins chères devraient lentement faire baisser ce prix. L’avantage, selon Alessandro Boschi de la Banque européenne d’investissement, est qu’« une fois construites les infrastructures exploitant les énergies renouvelables, le vent et le soleil sont disponibles gratuitement ».

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« Lorsque les prix des matières premières augmentent, les prix de détail explosent. Cependant, lorsque les prix des matières premières baissent, les prix de détail descendent doucement. »
Fotios Kalantzis

Économiste principal, spécialiste du secteur de l’énergie à la Banque européenne d’investissement

Des vents à contre-courant

L’Europe est pionnière dans le domaine de l’énergie éolienne. La société danoise Vestas a fabriqué la première éolienne capable de générer des mégawatts d’électricité. Le Danemark et les États-Unis ont été les deux premiers pays à déployer des parcs éoliens modernes dans les années 1980 et 1990. Le Danemark a également été le premier à construire un parc éolien marin, au large de Vindeby, en 1991.

À l’instar du solaire, l’éolien est considéré comme un vecteur essentiel de la transition écologique en Europe. L’énergie éolienne a connu une croissance constante ces dernières années, atteignant un peu plus de 200 gigawatts en 2022. Toutefois, cette puissance doit plus que doubler d’ici à 2030 si l’Europe veut atteindre ses objectifs en matière de climat.

Environ un tiers de la puissance électrique nécessaire devrait provenir de l’éolien en mer, qui n’est pas soumis aux mêmes contraintes foncières ni au même contrôle public que l’éolien terrestre. Les parcs marins peuvent également produire de plus grands volumes d’énergie grâce aux vents forts qui soufflent en mer.

La bataille du vent

L’éolien, cependant, est aux prises avec une augmentation des coûts qui remet en question la viabilité de certains projets. « Nous vivons dans une nouvelle réalité où la construction d’un parc éolien coûte plus cher qu’il y a deux ou trois ans », explique Lauri Ulm, responsable du développement des parcs éoliens chez Enefit Green.

Une difficulté provient de la façon de remporter les appels d’offres pour l’électricité. Les contrats sont attribués aux producteurs d’énergie dont l’offre est la plus basse. Néanmoins, la construction d’un parc éolien en mer dure plusieurs années et les exploitants se retrouvent souvent à soumissionner pour des appels d’offres d’électricité avant de savoir vraiment combien il leur en coûtera de construire et d’exploiter le parc éolien. En outre, les marchés de fourniture d’électricité ne prévoient généralement pas de mécanisme d’ajustement permettant aux producteurs de facturer des tarifs plus élevés.

Les fabricants d’éoliennes comme Vestas et Siemens en Allemagne sont également sous pression. Les difficultés d’approvisionnement et la hausse des prix des matières premières érodent les bénéfices et entravent la capacité des entreprises à livrer des équipements aux parcs éoliens.

L’Union européenne soutient désormais l’industrie éolienne en orientant des ressources de REPowerEU vers les fabricants et en renforçant la chaîne d’approvisionnement grâce au plan d’action de l’UE en matière d’énergie éolienne. La Banque européenne d’investissement soutient également ce secteur en mettant à disposition 5 milliards d’euros pour renforcer l’octroi de garanties par des banques commerciales, qui devraient permettre la mobilisation de 80 milliards d’euros d’investissements dans les entreprises fabriquant des équipements et des composants pour les parcs éoliens.

« Ce type d’appui est absolument nécessaire pour renforcer la compétitivité des entreprises européennes qui sont de plus en plus confrontées à la concurrence non européenne, notamment chinoise », constate Alessandro Boschi de la BEI. « C’est vraiment important pour un secteur qui, d’une certaine manière, est né en Europe. »



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Un navire de charge transportant des pales d’éoliennes au large des côtes du Monténégro.

Allons-nous y arriver ?

Les objectifs actuels exigent la décarbonation totale de l’économie de l’UE d’ici à 2050. Même si certaines industries continueront à émettre du carbone et d’autres gaz à effet de serre, ces émissions seront compensées par d’autres mesures, comme l’extension des forêts pour absorber le carbone de l’atmosphère.

Toutefois, il nous faut tout d’abord réaliser ces objectifs ambitieux à l’horizon 2030.

Fotios Kalantzis, économiste à la Banque européenne d’investissement, estime que l’Europe progresse. « J’ai le sentiment que nous atteindrons plus ou moins nos objectifs pour 2030. »  

Il affirme qu’une récente évaluation de la Commission européenne fondée sur les plans nationaux pour l’énergie et le climat, à savoir les stratégies décennales présentées par les États membres de l’UE, montre que l’Union européenne est en grande partie sur la bonne voie. « Mais pour moi, nous ne devrions pas nous concentrer sur les cibles », ajoute-t-il. « Ce qui importe, c’est la direction prise et la manière dont nous y arrivons. »

Il y a quelques obstacles sur le chemin. L’un d’entre eux tient aux vives protestations publiques contre les politiques en matière d’énergie et de climat, à l’instar des manifestations d’agriculteurs qui ont eu lieu dans toute l’Europe au début de 2024. Un autre obstacle est la frustration de la population face aux prix obstinément élevés de l’électricité pesant lourdement sur des personnes et des entreprises déjà en difficulté.

L’Europe doit également faire attention à ne pas simplement basculer d’une dépendance à l’égard du pétrole et du gaz russes vers une confiance excessive à l’égard d’éoliennes ou de panneaux solaires fabriqués en Chine. « Imaginez que les tensions avec la Chine s’aggravent soudainement et que nous n’obtenions plus ses produits », prévient Alessandro Boschi. « Nous ne pourrons pas les remplacer du jour au lendemain via l’industrie européenne. »

Les dirigeants européens parlent beaucoup d’autonomie énergétique, c’est-à-dire de la nécessité de protéger l’approvisionnement énergétique de l’Europe contre les guerres, les conflits commerciaux et les partenaires étrangers instables. La transition écologique ne rendra peut-être pas l’Europe totalement autonome, mais elle pourrait devenir plus indépendante.

« La chose la plus importante aujourd’hui, c’est de convaincre les gens que c’est la seule voie à suivre », conclut Fotios Kalantzis.