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    Investir dans le renouvelable

    La petite histoire des énergies renouvelables

     

    L’histoire des énergies renouvelables est jalonnée de rebondissements. Mais les êtres humains sont finalement parvenus à trouver des moyens viables d’exploiter le pouvoir de la nature.

    Henrik Stiesdal avait 16 ans lorsque la crise pétrolière a éclaté en 1973. Il était alors étudiant et vivait sur l’exploitation agricole de ses parents, dans une petite ville de l’est du Danemark. Plus de 90 % de l’approvisionnement en énergie du Danemark provenait alors de combustibles importés. Le prix du pétrole a triplé et, avec lui, celui de l’électricité. À l’image de nombreux autres Danois, la famille Stiesdal a peiné à payer des factures énergétiques élevées.

    Avant cette crise de l’énergie, des milliers de petits moulins à vent avaient déjà été installés dans des fermes dans tout le Danemark.

    Certains produisaient même de l’électricité. Henrik Stiesdal voulait acheter une éolienne qui pourrait alimenter la ferme en électricité et réduire les factures de ses parents, mais personne n’en vendait. « Si nous ne pouvons pas en acheter une », pensa-t-il, « nous devons en construire une nous-mêmes. »

    Henrik Stiesdal (à gauche) avec son éolienne de 10 mètres de diamètre. Henrik Stiesdal

    Il a d’abord fait des essais avec une petite éolienne à deux pales. « C’était spectaculaire d’en tenir une dans vos mains, car les pales frôlaient votre nez à une vitesse pouvant dépasser des centaines de kilomètres par heure », se souvient-il. Il a rapidement construit une éolienne plus grande, à laquelle il a ajouté une autre pale. Elle avait un rotor de 10 mètres de diamètre et pouvait fournir presque assez d’énergie pour l’ensemble de l’exploitation.

    En 1979, Henrik Stiesdal et un forgeron du coin, qui l’a aidé à la construire, ont vendu leur concept d’une éolienne à trois pales à Vestas, un fabricant danois d’appareils de cuisine, de refroidisseurs de lait et, plus tard, de grues hydrauliques. Ce modèle serait connu sous le nom de « concept danois » et a depuis conquis le monde entier.

    En partie grâce aux modèles conceptualisés par Henrik Stiesdal, le Danemark est devenu un chef de file de la production et de l’utilisation d’énergies renouvelables, tandis que Vestas a gagné le statut de plus grand fabricant d’éoliennes au monde. Aujourd’hui, l’énergie éolienne fournit plus de la moitié de l’électricité produite au Danemark, ce qui lui permet de devenir l’un des pays les plus sûrs au monde sur le plan énergétique.

    L’Europe s’efforce de reproduire ce succès à l’échelle du continent. Elle souhaite que l’énergie éolienne fournisse 35 % de toute l’électricité produite d’ici à 2030 et 50 % d’ici à 2050. Cette volonté s’inscrit dans le cadre d’une impulsion plus large en faveur des énergies renouvelables, sur laquelle l’Union européenne compte pour réduire sa dépendance à l’égard des combustibles fossiles et diminuer radicalement ses émissions de carbone. Mais si l’Europe avait la technologie pour produire de l’énergie renouvelable avant même les années 1970, pourquoi sommes-nous devenus aussi tributaires des combustibles fossiles ? Voici la petite histoire des énergies renouvelables.



    European Patent Office
    « C’était spectaculaire d’en tenir une dans vos mains, car les pales frôlaient votre nez à une vitesse pouvant dépasser des centaines de kilomètres par heure. »
    Henrik Stiesdal

    Exploitation des éléments par les êtres humains

    La révolution industrielle a inauguré une ère où les combustibles fossiles étaient bon marché et facilement disponibles. Mais en réalité, avant la révolution industrielle du XIXe siècle, la plupart des énergies étaient renouvelables.

    Les premiers êtres humains ont découvert les énergies renouvelables il y a un million d’années, lorsque, pour le dire en termes plus poétiques, nous avons découvert le feu. L’énergie libérée par la combustion de plantes séchées et de bois est aujourd’hui connue sous le nom de bioénergie. La découverte de la bioénergie a été déterminante pour l’évolution humaine. Le feu a fourni une source de chaleur et de lumière, une protection contre les prédateurs et un moyen de cuire les aliments.

    Les premières représentations de l’énergie éolienne remontent à 3 200 av. J.-C. Les Égyptiens de l’Antiquité tiraient parti du vent pour remonter le Nil. En 200 av. J.-C., de simples moulins à vent ont servi à pomper l’eau en Chine et au Moyen-Orient.

    Les Romains utilisaient l’énergie solaire et géothermique pour chauffer leur maison et leurs bains, et les Grecs de l’Antiquité ont mis au point les premières roues à eau, exploitant l’énergie hydraulique pour moudre le blé et en faire de la farine.

    L’énergie hydraulique est devenue l’une des plus importantes sources d’énergie disponibles dans le monde médiéval. Au XIXe siècle, lorsque les principes de l’électricité ont été découverts, les scientifiques ont commencé à mettre au point des moyens de produire de l’électricité grâce aux énergies renouvelables.

    Ces efforts ont en grande partie été abandonnés pendant la révolution industrielle, qui a vu naître le moteur à combustion et s’est accompagnée d’une dépendance aux combustibles fossiles, principalement le charbon.  Les combustibles fossiles, dont le pétrole, ont continué à dominer l’approvisionnement énergétique mondial, conservant leur position dominante jusqu’à aujourd’hui.

    Les avancées du XXe siècle, toutefois, ont relancé l’éolien et le solaire, les transformant finalement en protagonistes de la transition écologique.



    Énergie hydraulique – L’émergence de la houille blanche

    L’énergie hydraulique est la seule énergie renouvelable qui s’est développée pendant la révolution industrielle. La roue à eau est devenue la turbine hydraulique, et l’énergie hydraulique a été connue sous le nom de « houille blanche ».

    Elle joue toujours un grand rôle aujourd’hui. L’énergie hydraulique fournit un sixième de l’électricité mondiale, soit plus que toutes les autres sources d’énergie renouvelables combinées. Mais contrairement aux infrastructures liées aux autres énergies renouvelables, les barrages hydroélectriques sont une technologie mature et la marge de manœuvre est limitée pour augmenter la quantité d’énergie qu’ils produisent.

    Plus de la moitié des infrastructures hydroélectriques en Europe ont plus de 40 ans et doivent être modernisées. Parallèlement, certains pays ont déjà pleinement exploité le potentiel de l’énergie hydraulique. Et la construction de barrages ou la modification du débit des rivières peut gravement nuire à la faune et à des écosystèmes entiers.

    Ces limites expliquent en grande partie pourquoi les énergies solaire et éolienne ont gagné en importance au sein des énergies vertes.

    L’éolien prend de la vitesse

    Une éolienne, au Danemark, au début des années 1900. Wikimedia

    L’idée d’Henrik Stiesdal de se servir du vent pour alimenter en électricité la ferme de ses parents a été inspirée par Poul La Cour, un inventeur danois du XIXe siècle et pionnier de l’éolien. Poul La Cour estimait que l’énergie éolienne était déterminante pour l’électrification du pays, en cours à l’époque.

    En 1891, il a construit l’une des premières éoliennes générant de l’électricité. Il voulait partager cette connaissance avec la population rurale du pays. L’énergie éolienne contribuerait à moderniser l’agriculture, permettant aux exploitants agricoles de pomper l’eau à des fins d’irrigation et de produire de l’électricité pour leur logement. Des initiatives comparables ont été déployées parallèlement en Amérique du Nord.

    Déjà en 1918, 120 éoliennes étaient raccordées au réseau et fournissaient 3 % de l’électricité du Danemark, tandis que plus de 25 000 fermes produisaient de l’énergie grâce à de petites éoliennes privées. Toutefois, ces éoliennes allaient bientôt être remplacées par le moteur diesel.

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, les éoliennes ont à nouveau eu le vent en poupe, les ressources énergétiques étant alors rares. La plus grande éolienne de l’époque était exploitée aux États-Unis, au sommet d’une colline du Vermont. Elle a fourni suffisamment d’énergie pour alimenter le réseau local de services collectifs pendant plusieurs mois durant la guerre. Mais l’intérêt suscité par l’énergie éolienne est retombé lorsque les importations de combustibles fossiles ont repris après la guerre.

    Le Danemark prend la tête de la course

    Installée en 1978, Tvindkraft était à l’époque la plus grande éolienne du monde. Wikimedia

    Ce n’est qu’après les crises énergétiques des années 1970 que l’éolien a finalement fait son grand retour. L’État danois a mis en place des subventions pour les éoliennes et a soutenu la recherche sur l’énergie éolienne. « Les éoliennes étaient encore trop petites pour produire beaucoup d’électricité », explique Peter Karnøe, professeur à l’université d’Aalborg qui étudie l’histoire des énergies renouvelables. « À l’origine, les subventions visaient à créer des emplois et à soutenir les collectivités rurales, mais elles se sont rapidement révélées efficaces pour réduire nos importations d’énergie. »

    À la fin des années 1970, un petit village de pêcheurs danois a construit un parc éolien pour couvrir tous ses besoins en électricité et en chauffage. La plus grande éolienne du monde, à cette époque, a également été érigée au Danemark en 1978.

    D’une hauteur de 53 mètres et d’une envergure de 54 mètres, Tvindkraft ne serait finalement dépassée que dans les années 1990 (c’est à l’heure actuelle la plus ancienne éolienne du monde encore en activité).

    En 1979, Vestas a commencé à produire des éoliennes à grande échelle. « Les subventions ont porté leurs fruits au cours des années qui ont suivi, quand des éoliennes danoises ont fleuri en Californie », précise Peter Karnøe.

    Le Danemark allait devenir un chef de file mondial de l’énergie éolienne, qui était prête pour la prochaine étape, à savoir partir en mer.

    Changement de cap pour l’énergie éolienne

    « En 1989, les autorités danoises ont décidé que nous devions faire de l’éolien en mer », se souvient Henrik Stiesdal. « Elles se sont rendu compte que, tôt ou tard, nous allions manquer de place sur terre et elles ont donc décidé de les délocaliser au large des côtes. »

    Henrik Stiesdal a travaillé sur la construction du parc de Vindeby, le premier parc éolien en mer au monde. « Je devais m’assurer que les éoliennes étaient conçues pour cet usage et que nous disposions des solutions techniques adéquates pour une installation en mer. » Le parc éolien, qui a été érigé en 1991, arborait 11 éoliennes, chacune capable de produire 450 kilowatts d’énergie. Cela signifiait que Vindeby pouvait alimenter en électricité 2 000 à 3 000 foyers par an.

    Au Danemark, les parcs éoliens en mer ont remporté un franc succès, mais ils ont été construits près des côtes. L’installation d’éoliennes encore relativement petites sur des fondations dans les fonds marins et le montage de pales au-dessus de l’eau ne s’écartaient pas tellement de la construction sur terre. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont suivi l’exemple du Danemark en construisant leurs propres parcs éoliens en mer. Les eaux côtières peu profondes de la mer du Nord étaient particulièrement bien adaptées à l’éolien marin.

    Mais la construction de parcs éoliens à proximité des côtes a été problématique. Les voies maritimes et les réserves naturelles protégées ont rendu presque impossible la mise en œuvre de parcs éoliens près des côtes allemandes. La population locale et les touristes estimaient aussi que les éoliennes gâchaient la vue. Et si les parcs éoliens pouvaient être dissimulés plus loin en mer, là où les vents sont plus forts et plus constants ?

    L’État allemand a d’abord envisagé de construire des parcs éoliens maritimes dans les années 1990. Le secteur naissant de l’éolien a salué cette idée avec enthousiasme.

    Et puis, pendant environ 10 ans… il ne s’est rien passé.



    Et si les parcs éoliens pouvaient être dissimulés plus loin en mer, là où les vents sont plus forts et plus constants ?

    En eau profonde

    L’idée a été relancée au début des années 2000, lorsque l’État allemand a convenu avec les producteurs d’électricité EWEE.ON et Vattenfall de construire un parc éolien pilote à 45 kilomètres au large de Borkum, l’une des îles de la Frise-Orientale à proximité de la côte nord-ouest de l’Allemagne.

    Ces entreprises voulaient tester la faisabilité de l’installation d’éoliennes de 5 mégawatts, plus grandes et plus puissantes, au milieu de la mer du Nord, dans des eaux profondes d’environ 30 mètres. Ces éoliennes à la pointe de la technologie, qui s’élevaient à 100 mètres au-dessus de la mer (à peu près comme la tour qui abrite Big Ben, à Londres), allaient devoir résister à la puissance des vents marins et des vagues qui s’écrasent sur les structures.

    « En 2009, certains doutaient de la possibilité de construire et d’exploiter ces éoliennes gigantesques aussi loin du rivage et en eau profonde. Ils estimaient qu’elles étaient trop grandes et trop éloignées », explique Bernhard Lange, directeur technique de l’institut Fraunhofer pour l’éolien, qui coordonnait une initiative de recherche sur le projet pilote Alpha Ventus. « Nous devions mettre en place une installation de démonstration pour répondre à toutes les questions et aux doutes soulevés par l’éolien en mer. »

    Pour attirer les investissements, il était aussi important de montrer la viabilité des parcs éoliens en mer en précisant combien coûtaient leur construction et leur entretien. Avant Alpha Ventus, affirme Bernhard Lange, les investisseurs étaient sceptiques. « Certains conseillaient de ne pas investir pas dans ce domaine, parce que le risque d’échec était trop grand. »

    Au cours des dix dernières années, Alpha Ventus a fourni 2,1 térawattheures d’énergie au réseau électrique allemand. Cela représente suffisamment d’électricité pour alimenter 57 000 foyers. Cela a aussi ouvert la voie à une multitude d’autres parcs éoliens qui sont opérationnels ou en développement dans les eaux allemandes. Il y a aujourd’hui plus de 1 500 éoliennes en mer dans les eaux allemandes, ce qui est sans commune mesure avec les 12 éoliennes initiales du projet Alpha Ventus.

    Un grand nombre de ces premiers projets, dont Alpha Ventus, ont connu des retards qui ont fait grimper les coûts. Trouver des financements pour des projets éoliens en mer risqués pendant les jours sombres de la crise financière de 2008 s’est également révélé difficile, et certains des parcs éoliens n’auraient peut-être pas vu le jour sans l’intervention de la Banque européenne d’investissement (BEI) et d’autres institutions nationales et européennes qui ont apporté un soutien financier.

    Le rôle des institutions publiques, comme la BEI, est de financer des secteurs industriels importants pour les politiques publiques, même lorsqu’ils sont jugés trop risqués pour les investisseurs privés. C’est ce que la Banque européenne d’investissement, qui est le bras financier de l’Union européenne, a fait dans le cas de l’éolien en mer.

     « Au début, bon nombre de ces projets étaient financés par la Banque européenne d’investissement », explique Alessandro Boschi, chef de la division Énergies renouvelables de la BEI. « Nous avons joué un rôle majeur dans le démarrage de cette industrie. »

    « En 2009, certains doutaient de la possibilité de construire et d’exploiter ces éoliennes gigantesques aussi loin du rivage et en eau profonde. Ils estimaient qu’elles étaient trop grandes et trop éloignées »
    Bernhard Lange

    Directeur technique de l’institut Fraunhofer pour l’éolien

    Alpha Ventus – Prendre le large

    En 2006, la communauté allemande des chercheurs a été invitée à se réunir à Cassel, une ville du centre du pays, afin de résoudre les difficultés que rencontrait le site d’expérimentation en mer d’Alpha Ventus. Le parc éolien en mer de Vindeby avait été construit au Danemark 15 ans plus tôt, mais l’Allemagne n’était toujours pas dotée de projets éoliens en mer, en grande partie en raison de certaines conditions qui freinaient la construction près du rivage. L’Allemagne voulait mettre en place un effort de recherche pour repérer et lever les obstacles auxquels étaient confrontés les projets marins plus éloignés des côtes.

    L’initiative Alpha Ventus a vu le jour. Les scientifiques qui y ont participé ont mis sur pied divers projets de recherche pour répondre aux questions soulevées par le projet pilote. Est-ce que les éoliennes pourraient être ancrées en toute sécurité à des fonds marins profonds ? Est-ce qu’elles allaient perturber la vie et les écosystèmes marins, en particulier lorsque les structures de soutien seraient enfoncées dans les fonds marins, entraînant des vibrations et un bruit importants ? Est-ce que des sous-marins ou d’autres navires allaient percuter les éoliennes ?

    « Peu de gens connaissaient vraiment l’éolien en mer », déclare Bernhard Lange, de l’institut Fraunhofer. « L’objectif était de créer une communauté capable de fournir des connaissances qui contribueraient à son développement. »

    Les scientifiques ont testé la résilience des éoliennes dans des conditions difficiles en mer du Nord. Une machine à vagues a simulé la force de l’eau s’écrasant sur les éoliennes. Les scientifiques ont mesuré la vitesse du vent, des vagues et des courants dans la zone du projet pilote, et ont créé des modèles simulant la capacité des éoliennes à résister à cette force. Les chercheurs ont également étudié comment concevoir et surveiller les fondations d’éoliennes en eaux profondes.

    Une question particulièrement épineuse était la distance entre le parc éolien pilote et le rivage. Quels types de navires et d’infrastructures portuaires faudrait-il pour transporter des éoliennes de 800 tonnes (tours et pales comprises), ainsi que d’autres matériaux nécessaires à la construction, comme des grues ? Combien cela coûterait-il d’amener ces structures au milieu de la mer et de les ériger sur des fondations en eaux profondes ?

    Au moment de la mise en service d’Alpha Ventus en 2010, de nombreuses difficultés techniques liées à la construction d’éoliennes en mer avaient été résolues. Les rideaux de bulles d’air se sont révélés efficaces pour atténuer le bruit des marteaux-pilons sous-marins, réduisant ainsi davantage l’impact écologique. Et les mammifères marins, qui avaient fui la zone pendant la construction, sont revenus.

    Le projet pilote a démontré qu’il était possible de construire en eaux profondes des parcs dotés d’éoliennes plus grandes. « Cela a rassuré tout le monde quant à la faisabilité du projet. C’était possible », poursuit Bernhard Lange, « et sur le plan technologique, cela a fonctionné. »

    Il y a aujourd’hui plus de 1 500 éoliennes en mer dans les eaux allemandes, ce qui est sans commune mesure avec les 12 éoliennes initiales du projet Alpha Ventus.
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    Énergie solaire – Bien plus qu’un tour de magie

    Les êtres humains tentent de capter la puissance du soleil depuis l’Antiquité. Les thermes romains comprenaient souvent des pièces exposées au sud dotées de grandes fenêtres qui dirigeaient la chaleur du soleil vers une zone : le solarium. Les Grecs utilisaient des « miroirs ardents » lors de cérémonies pour concentrer les rayons du soleil sur des torches, créant ainsi suffisamment de chaleur pour les allumer.

    Néanmoins, nous n’avons pas observé de véritables avancées technologiques dans le domaine solaire avant les années 1800. Edmond Becquerel, un physicien français qui s’intéressait à la puissance de l’astre solaire, a compris, en 1839, que l’on pouvait générer un courant électrique en exposant aux rayons du soleil deux électrodes, l’une recouverte de chlorure d’argent et l’autre de bromure d’argent. On lui attribue souvent la découverte de l’effet photovoltaïque qui alimente les panneaux solaires modernes.

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    Un autre Français, un professeur de mathématiques nommé Augustin Mouchot, a inventé un chauffe-eau solaire pour le bain et un four solaire pour la cuisine. Ses inventions sont en grande partie nées de sa crainte que le charbon, la principale source d’énergie de l’époque, ne s’épuise un jour. Il a même remporté une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1878, à Paris, pour ses inventions solaires. La foule était stupéfaite de le voir produire des blocs de glace à partir d’un dispositif de réfrigération alimenté par l’énergie solaire concentrée dans un grand cône métallique réfléchissant.

    L’émergence du moteur à combustion interne a toutefois amoindri l’intérêt suscité par les innovations d’Augustin Mouchot.

    La grande percée du solaire s’est produite en 1954, lorsque Daryl Chapin, Calvin Fuller et Gerald Pearson ont créé la cellule photovoltaïque en silicium chez Bell Labs, aux États-Unis. Cette invention marque la première fois que la lumière du soleil a été utilisée pour alimenter un appareil électrique pendant plusieurs heures.

    Des laboratoires de recherche dans le domaine solaire ont vu le jour en Europe et aux États-Unis, en partie sous l’effet des crises pétrolières des années 1970. Mais ce qui a vraiment donné un coup de fouet à l’énergie solaire, ce sont des politiques délibérées et réfléchies en matière d’énergies renouvelables élaborées dans une Allemagne dominée par la grisaille. L’une de ces politiques était le programme des mille toits.

    Des panneaux solaires sur chaque toit

    En 1990, l’Allemagne a lancé le programme des mille toits pour encourager l’installation de panneaux solaires sur les toits des maisons où vivent une ou deux familles. Des subventions fédérales et étatiques et des prêts abordables ont aidé les propriétaires à payer ces panneaux. Le programme a rencontré un tel succès qu’en 1999, l’Allemagne l’a étendu à 100 000 toits.

    Les préoccupations environnementales, comme la pollution et les changements climatiques, étaient déjà prégnantes en Allemagne. La politique des 100 000 toits avait pour objectif de développer une puissance solaire de 300 mégawatts, principalement en offrant un financement avantageux pour l’installation de panneaux solaires. Quand le programme a été progressivement abandonné en 2003, il avait appuyé l’installation de 55 000 panneaux solaires qui ont ajouté une capacité de 261 mégawatts. 

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    L’Allemagne a poursuivi le déploiement d’énergies propres avec la loi sur les sources d’énergie renouvelables, qui est entrée en vigueur en 2000. Cette loi a mis en place des tarifs de rachat qui payaient les producteurs d’énergie solaire au-dessus du taux du marché pour l’électricité qu’ils fournissaient au réseau électrique. Ces tarifs ont rendu les projets solaires viables, car la production d’électricité à partir de panneaux solaires était toujours plus coûteuse que l’utilisation de combustibles fossiles comme le gaz naturel.

    L’Espagne a emboîté le pas à l’Allemagne et introduit ses propres tarifs de rachat pour les projets solaires. « La mise en place de tarifs de rachat était vraiment très importante », déclare Ignacio Antón, chercheur à l’Institut d’énergie solaire de l’Université polytechnique de Madrid. « Cela a rendu l’installation photovoltaïque financièrement attrayante à ce moment-là. »

    Quelques années après l’introduction de ces dispositifs, l’Espagne était devenue la plus grande installatrice de panneaux photovoltaïques au monde. Ce soutien a donné lieu à une industrie de l’énergie solaire florissante, non seulement au niveau de la production de panneaux, mais aussi du savoir-faire en ingénierie, de la main-d’œuvre qualifiée et des matériaux nécessaires à l’installation de panneaux solaires. « L’Espagne a joué un rôle majeur dans le déploiement du photovoltaïque non seulement en Europe, mais aussi dans le monde », affirme Ignacio Antón.

    Le problème pour l’Espagne, comme pour l’Allemagne, était que les mesures incitatives des pouvoirs publics étaient coûteuses et n’étaient probablement pas assez sélectives en matière de projets soutenus. À un moment donné, l’Espagne dépensait 2,6 milliards d’euros par an pour soutenir le secteur solaire. C’était intenable et les dépenses augmentaient alors même que la crise financière débutait.

    « L’intérêt a été beaucoup plus grand que prévu », se souvient-il. « Le gouvernement a dû y mettre un terme parce que la part des subventions dans le budget était nettement plus élevée que prévu. »

    L’Espagne a revu les tarifs à la baisse, débranchant de fait la perfusion d’une industrie naissante. Ces tarifs étaient déjà impopulaires auprès des consommateurs, qui les considéraient comme une subvention coûteuse. « Il y avait beaucoup de projets et, d’une manière générale, aucune limite réellement fixée. Du moment que vous aviez un projet dans le solaire, vous obteniez une aide », explique Alessandro Boschi, chef de la division Énergies renouvelables de la Banque européenne d’investissement. « Et puis, bien sûr, il y a eu la crise financière. L’incidence de ces tarifs cachés sur les prix finaux payés par les consommateurs est devenue une question politique. »



    Comment la Chine a pris le contrôle de l’énergie solaire

    Le soutien apporté par l’Allemagne à l’énergie solaire au début des années 2000, ses recherches scientifiques et ses technologies de pointe ont contribué à en faire le premier producteur mondial de panneaux photovoltaïques. En 2008, toutefois, cette position dominante a été mise à mal.

    La crise financière a touché les banques et les investisseurs des deux côtés de l’Atlantique. Le secteur de l’énergie solaire avait néanmoins des problèmes qui lui étaient propres. Il y avait une pénurie de silicium, qui est nécessaire à la fabrication de panneaux solaires. Les entreprises allemandes de panneaux solaires, comme QCell, ont cherché des technologies de substitution pour remplacer le silicium. Dans l’intervalle, elles ont assuré la régularité de leur approvisionnement en signant des accords à long terme via lesquels elles achetaient du silicium à des prix élevés, ce qui a augmenté leurs coûts.

    Les fabricants chinois sont entrés en lice, souhaitant profiter du soutien généreux que l’Europe apportait aux énergies éolienne et solaire. Grâce au soutien de l’État et à une main-d’œuvre bon marché, ils ont pu vendre moins cher que les producteurs allemands. Ils avaient également l’avantage d’avoir de grandes mines de silicium dans leur pays. « La Chine a inondé le marché de modèles de bonne qualité et très peu onéreux », précise Alessandro Boschi. « Et cela a vraiment anéanti l’industrie européenne. »

    Parallèlement, les généreuses subventions européennes ont été réduites. L’Allemagne a décidé de baisser d’un tiers les tarifs de rachat qui avaient contribué à la création de l’industrie solaire, une décision qui est entrée en vigueur du jour au lendemain. Avec le déferlement sur le continent de la crise financière, puis de la crise de la dette européenne, les pouvoirs publics avaient peu de moyens, ou de volonté politique, pour sauver l’industrie solaire.

    L’Europe a tenté brièvement de protéger les fabricants de panneaux solaires, en introduisant des droits de douane sur les panneaux chinois de 2013 à 2018, mais c’était trop peu et trop tard. En 2012, QCells a fait faillite. D’autres producteurs européens l’ont suivie.

    « La Chine a inondé le marché de modèles de bonne qualité et très peu onéreux. Et cela a vraiment anéanti l’industrie européenne. »
    Alessandro Boschi

    Chef de la division Énergies renouvelables de la BEI

    Le réveil du renouvelable

    Aujourd’hui, l’énergie solaire est l’une des sources d’électricité les moins chères au monde. « Depuis 2008, le coût de l’électricité produite à partir de l’énergie solaire a été réduit par dix », affirme David González García, ingénieur en chef pour les programmes de transition énergétique à la Banque européenne d’investissement.

     

    David González García affirme que les centrales solaires ont réduit les coûts en augmentant et en reconfigurant les installations pour obtenir le plus d’énergie possible. La centrale photovoltaïque de Cestas, près de Bordeaux, inaugurée en 2015, a regroupé 1 million de panneaux solaires dans une zone de la taille d’environ 600 terrains de football.

    Au lieu d’être légèrement inclinés, les panneaux ont été placés les uns à côté des autres à un angle de 45 degrés. Cela a permis à Neoen, le promoteur de la centrale, d’achever plus rapidement la construction du projet et de produire plus d’électricité dans un espace plus restreint.

    « Cela entraîne de légères pertes de production d’énergie solaire, parce que le panneau n’est pas orienté vers le sud, mais cela accélère le processus de construction et augmente la capacité », explique David González García.

    Lors de son inauguration, le parc solaire de Cestas était le plus grand d’Europe et produisait chaque année suffisamment d’électricité pour couvrir les besoins d’environ un tiers des habitants de la métropole bordelaise, soit environ 300 000 personnes. La Banque européenne d’investissement a appuyé le projet au moyen d’un prêt de 56 millions d’euros.

    L’industrie solaire est à nouveau florissante en Europe.

    On estime que sa capacité a atteint près de 260 gigawatts en 2023, soit une augmentation de 60 % en deux ans. L’Union européenne entend plus que doubler cette capacité pour atteindre 600 gigawatts d’ici à 2030. L’Europe tente également de relancer la production de panneaux solaires, avec une grande giga-usine prévue à Catane, en Sicile. La Banque européenne d’investissement et un consortium de banques italiennes prêtent 560 millions d’euros à l’appui de ce projet.

    Autrefois impensable

    Ensemble, les énergies éolienne et solaire ont généré près d’un cinquième de l’électricité en 2022, dépassant pour la première fois la part du gaz naturel. L’Europe compte sur les énergies renouvelables pour atteindre ses objectifs climatiques ambitieux et réduire sa dépendance aux combustibles fossiles, dont les prix sont montés en flèche lorsque la Russie a envahi l’Ukraine. L’Union européenne a récemment porté à 42,5 % son objectif à l’horizon 2030 concernant la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie, tout en espérant atteindre 45 %.

    Il était autrefois impensable que la part des énergies renouvelables puisse être si grande à l’échelle de l’Europe. Bernhard Lange, de l’institut Fraunhofer, s’est intéressé à l’énergie éolienne il y a 30 ans lorsqu’il travaillait sur sa thèse de master à l’université d’Oldenbourg, en Allemagne.  

    Wolfgang Schmidt, l’un de ses professeurs de l’époque, travaillait sur l’énergie éolienne. Il avait dans son bureau une carte du nord de l’Allemagne où des points signalaient toutes les éoliennes alors installées. « Il y en avait si peu qu’il les connaissait toutes », se souvient Bernhard Lange. Il dit avoir compris dès lors que l’Allemagne et l’Europe devaient abandonner les combustibles fossiles – les scientifiques tiraient déjà la sonnette d’alarme sur le plan climatique – et que la seule véritable alternative était les énergies renouvelables, comme le solaire et l’éolien.

    « Même à ce moment-là, j’étais déjà convaincu qu’elles avaient un grand avenir », explique-t-il. « Mais je n’ai jamais cru qu’elles auraient pris une telle importance aujourd’hui. »