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Par Edward Calthrop et Chris Hurst1

La décennie actuelle est souvent qualifiée de « décisive ». Pourquoi ? Pour nous rappeler que si nous voulons éviter les effets les plus néfastes du réchauffement climatique, nous devons rapidement réduire les émissions dans le monde au cours des dix prochaines années. En fait, nous devons les réduire de moitié pour limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius d’ici la fin du siècle.

Nous pouvons donc évaluer 2021, la première année de cette décennie décisive, à l’aune de cette simple mesure. Dans la cacophonie entourant les politiques et les financements climatiques entendue cette année, quels signaux réels se sont-ils dégagés ? En ce début de 2022, devrions-nous faire preuve d’optimisme, car la planète a tourné son attention sur une trajectoire visant à limiter le réchauffement à 1,5 °C ? Ou plutôt suivre l’exemple de Greta Thunberg et ne pas prendre au sérieux, en les qualifiant de « bla-bla-bla », nombre d’annonces faites par les pays de l’hémisphère Nord ?

Il est facile de céder au scepticisme. En 2021, les émissions mondiales ont renoué avec leurs niveaux d’avant la pandémie. La tarification des combustibles fossiles reste obstinément inefficace et parmi les derniers engagements en date pris en faveur de la neutralité carbone, nombreux sont ceux dont les détails sont pour le moins sommaires. Cette situation est préoccupante. Toutefois, il est tout aussi important de prendre note des progrès accomplis. Le présent article s’arrête sur trois éléments, constatés en 2021, qui permettent d’aborder avec un optimisme mesuré la question de la réduction rapide des émissions dans le monde. Ce faisant, il met en évidence certains thèmes centraux qui devraient dominer l’actualité du financement de l’action en faveur du climat au cours des deux prochaines années.

Un impact tragique

Toute évaluation de 2021 ne saurait commencer sans reconnaître l’impact tragique des phénomènes météorologiques extrêmes qui ont ponctué cette année. La liste des phénomènes qui ont marqué 2021 est longue2. À la mi-juillet, des précipitations exceptionnelles se sont abattues sur l’Europe de l’Ouest, certaines régions enregistrant plus de 90 millimètres de pluie en une seule journée, soit environ un dixième de la moyenne annuelle. Les inondations qui s’en sont ensuivies ont coûté la vie à au moins 240 personnes, principalement en Allemagne et en Belgique. Ces intempéries ont rapidement laissé place à des chaleurs intenses. La Sicile a ainsi atteint un nouveau record avec 48,8 °C au début du mois d’août, et des incendies dévastateurs ont balayé la Grèce et la Turquie.

Les phénomènes météorologiques extrêmes ne se sont pas limités pas à l’Europe. À titre d’exemple, en juillet, des pluies torrentielles dans la province chinoise du Henan ont entraîné des crues massives et le décès de 302 personnes. À Zhengzhou, la capitale de la province, environ 620 millimètres de précipitations sont tombés en trois jours, soit à peu près la moyenne annuelle de la région. À l’occasion d’un phénomène tragique, la montée rapide des eaux a piégé les usagers du métro à l’heure de pointe, en soirée. Les services d’urgence ont accouru pour découper le toit de la rame le plus rapidement possible : 500 personnes ont pu être évacuées, tandis que 12 n’ont pas survécu.

Le lien entre le réchauffement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes a été établi il y a de nombreuses années. En 2021, dans la première partie de son sixième rapport d’évaluation, le GIEC a examiné de façon systématique les dernières données en date et a fait montre de moins de retenue dans le langage employé pour démontrer le lien de cause à effet. Au niveau régional en particulier, le risque de phénomènes météorologiques extrêmes est de mieux en mieux compris et quantifié. Les phénomènes survenus en 2021 s’inscrivent dans le droit fil du discours scientifique entendu depuis des décennies. Le besoin de réduire les émissions mondiales au cours de la prochaine décennie ne fait plus aucun doute.

1.       Les émissions sont en hausse et les prix envoient encore le mauvais signal

Avec cela à l’esprit, la première question est donc : qu’est-il arrivé aux émissions mondiales en 2021 ? La réponse est désespérément prévisible. Les émissions mondiales ont retrouvé des niveaux proches de ce qu’ils étaient avant la pandémie. Comme le montre la Figure 1, les émissions en 2021 sont estiméesà 36,4 gigatonnes de CO2, soit un peu plus de 7 % du budget carbone4 disponible en vue de limiter la hausse des températures à 1,5 °C. Autrement dit, à ce rythme, nous dépasserons notre budget global en moins de 13 ans. Nous ne sommes pas encore en train d’« infléchir la courbe des émissions » ; il n’est même pas certain, à la lecture du graphique, que nous en ayons fini avec la tendance historique des augmentations inexorables des émissions mondiales d’une année sur l’autre, sauf lors de crises économiques périodiques.

 

>@Global Carbon Budget 2021
© Global Carbon Budget 2021

Figure 1. Les émissions de CO2 ont continué d’augmenter en 2021

Il ne faut peut-être pas s’étonner de cette augmentation. Une grande inertie demeure dans le système énergétique mondial. Il est révélateur de constater qu’à l’échelle mondiale, les combustibles fossiles restent sous-évalués, les États subventionnant de manière explicite les producteurs ou ne corrigeant pas les coûts externes liés à leur consommation. Comme le montre la Figure 2, qui repose sur une évaluation du FMI, près de 90 % de la consommation mondiale de charbon sont estimés, s'agissant de la facturation, à moins de 20 % de l’ensemble du coût social, qui inclut les coûts du réchauffement climatique, de la pollution atmosphérique locale et d’autres effets induits. Le charbon est l’exemple le plus parlant, mais la sous-évaluation est également une caractéristique répandue au niveau de la consommation mondiale de gaz naturel et de pétrole (en tant que carburants pour le transport routier). C’est également le cas dans le contexte de la forte augmentation actuelle du prix à la production du gaz naturel. Sans aucun doute, il faut aller plus loin que la simple réforme des prix en matière de politique climatique. Mais il est tout aussi difficile de voir comment le comportement des consommateurs et des producteurs pourrait changer radicalement cette décennie sans des signaux plus efficaces en matière de prix.

>@IMF (2021)
© IMF (2021)

Figure 2. Tarification réelle et efficace des combustibles fossiles dans le monde

Pour cette décennie décisive, il faut que la croissance économique mondiale soit totalement dissociée des émissions. Cela n’est pas encore le cas, et il pourrait falloir attendre plusieurs années avant que ce ne le soit. À cet égard, Greta Thunberg n’a pas tort. Néanmoins, tout espoir n’est pas perdu. Plusieurs tendances apparues en 2021 autorisent un optimisme prudent concernant un changement structurel.

3.      Des raisons de faire preuve d’un optimisme prudent

L’année dernière a été marquée par trois évolutions. Tout d’abord, l’ampleur des engagements en faveur de la neutralité carbone dans le monde. Ensuite, la place centrale qu’a prise la finance durable sur les marchés des capitaux. Enfin, la prise de conscience accrue du rôle central de l’adaptation aux effets des changements climatiques dans le débat international sur le financement de l’action en faveur du climat. Ces évolutions conditionneront les financements et les politiques climatiques au cours des années à venir.

Thème 1 – Les engagements en faveur de la neutralité carbone recouvrent (l’essentiel de) la planète ; l’UE montre la voie à suivre pour être crédible

De nombreux pays se sont engagés en faveur de la neutralité carbone au cours de l’année 2021. Pour être précis, 140 pays ont désormais annoncé ou envisagent la mise en place d’objectifs de neutralité carbone, ce qui représente 90 % des émissions mondiales5. Pour celles et ceux d’entre nous qui se rappellent l’échec des négociations internationales lors de la COP 21 en 2015, c’est vraiment un exploit. À l’époque, la plupart des prévisions tablaient sur un réchauffement d’environ 3,7 °C d’ici à 2100. Avec la mise en place des contributions déterminées au niveau national à l’horizon 2030, nous sommes maintenant sur une trajectoire visant 2,4 °C, et potentiellement 1,8 °C dans un scénario optimiste (voir le déficit de crédibilité pour 2030 pointé à Glasgow). Ce n’est pas suffisant, mais la COP 26 doit être considérée dans le cadre de ce processus plus vaste comme une réussite, qui fait monter la pression d’un cran pour les dirigeants mondiaux.

Bien évidemment, on peut s’interroger sur la crédibilité de ces objectifs. L’Union européenne a montré la voie à suivre en la matière. La loi européenne sur le climat, entrée en vigueur le 29 juillet 2021, fixe un objectif contraignant de neutralité climatique dans l’Union d’ici à 2050. La loi définit les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif, notamment une nouvelle étape intermédiaire qui consiste en une réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et une série de propositions visant à réviser tous les instruments adéquats à l'appui de cet objectif. Elle définit également un processus pour la détermination d’un objectif pour 2040.

La loi fournit un cadre général. Dans les années à venir, une grande partie du capital politique de l’UE servira à s’accorder sur les détails. Il ne faut pas s’en étonner compte tenu des enjeux et des impacts potentiellement importants sur différents pans de la société. Mais la destination ne fait pas de doute. Cette loi envoie un message fort aux marchés, comme l’a démontré clairement en 2021 la forte hausse, à plus de 80 euros la tonne, du prixde l’émission d’une tonne de dioxyde de carbone dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission de l’UE. Les prix vont inévitablement fluctuer à court terme, mais le marché anticipe désormais fermement des prix du carbone élevés et en hausse (par rapport aux niveaux d’avant 2020).

Cette évolution attendue des prix commence à modifier les facteurs économiques7 de plusieurs technologies qu'il sera probablement nécessaire de mobiliser pour atteindre les objectifs de neutralité climatique, comme le piégeage, l’utilisation et le stockage du carbone8, ou la production d’hydrogène9 par électrolyse. À l’inverse, toutes les entreprises qui émettent actuellement d’importantes quantités de gaz à effet de serre dans le cadre de la bulle du système d’échange de quotas d’émission doivent présenter aux investisseurs une stratégie de croissance tenant compte d’un contexte où le prix du carbone est constant et élevé. C’est précisément ce que font les grandes entreprises européennes, avec des plans de décarbonation détaillés et crédibles. Comme de nombreux directeurs financiers l’admettent aujourd’hui volontiers, la divulgation de renseignements sur la durabilité des entreprises joue un rôle chaque fois plus primordial lorsqu'il s'agit de réduire au maximum le coût du capital pour les entreprises.

C’est désormais également le cas en ce qui concerne l’accès aux financements de la Banque européenne d’investissement. En 2021, la banque de l’UE a présenté un cadre complet pour les contreparties, notamment pour les entreprises qui exercent des activités à fortes émissions ou qui sont exposées à un risque important en raison des changements climatiques actuels ou à venir. Ce cadre définit les exigences minimales du Groupe BEI concernant le plan d’alignement des entreprises, y compris les activités difficiles à concilier avec les objectifs de l’accord de Paris.

En résumé, pour les États qui cherchent sérieusement à renforcer leur crédibilité, la loi européenne sur le climat fournit un canevas. Le Royaume-Uni et le Japon ont adopté une approche comparable. D’autres pays pourraient adopter une approche différente, mais le fait même de s’être engagé à atteindre un objectif sera inévitablement utilisé pour obliger les futurs dirigeants à rendre des comptes aux citoyens, aux consommateurs et aux électeurs. S’il y a bien un pays qui pourrait faire plus, du simple fait de sa responsabilité historique en matière d’émissions, ce sont les États-Unis. Il continue d’envoyer des messages contradictoires. Si vous en doutez, regardez la déclaration de Carl Sagan devant le Congrès des États-Unis en 1985 : elle donne à réfléchir. Puis faites un bond dans le temps de 36 ans, pour constater l’incapacité des États-Unis, lors de la COP 26, à se joindre à 23 autres pays pour s’engager à abandonner progressivement la production d’électricité à partir de charbon.

Thème 2 – La finance durable gagne enfin le devant de la scène.

En 2021, l’Union européenne a adopté une taxinomie. L’idée est simple et efficace : renforcer le marché intérieur des capitaux de l’UE en établissant des critères précis pour estampiller les activités comme durables, et éradiquer de ce fait le verdissement d’image. Pour y parvenir, un cadre simple sur le plan conceptuel : élaborer des critères techniques permettant d’établir qu’une activité contribue de manière substantielle à un objectif environnemental donné (par exemple, l’atténuation des changements climatiques), sans nuire de manière significative à aucun autre objectif environnemental (l’adaptation aux effets des changements climatiques, la protection des ressources en eau, l’économie circulaire, la prévention de la pollution, la protection de la biodiversité).

C’est une chose de se mettre d’accord sur le concept. C’en est bien sûr une autre de s'entendre sur des critères proprement dits. L’UE y est parvenue à la fin de 2021 grâce à l’adoption du premier acte délégué relatif au volet climatique de la taxinomie européenne. Ce faisant, elle a assurément retenu l’attention du marché, comme en témoignent les 46 589 réponses obtenues dans le cadre de la consultation de la Commission européenne. Cet acte est également susceptible d’avoir une incidence directe sur la mise en œuvre de projets. Dans un monde où les marges de financement sont serrées et où la tension inflationniste prévaut, les promoteurs de projets exploreront toutes les voies possibles pour réduire le coût du capital. Le fait de présenter un projet bénéficiant du label de la taxinomie européenne de la durabilité sera très certainement utile. Les détails auront leur importance. Les promoteurs immobiliers devraient dès lors commencer à accorder plus d’attention à la réalisation de tests d’étanchéité à l’air ou les promoteurs de parcs éoliens à examiner de plus près le recyclage des composants clés ou la résilience aux changements climatiques à venir. Les banques et les conseillers financiers commencent déjà à poser des questions. Les sociétés d’audit et de conseil se préparent elles aussi. Ce train s’est assurément mis en marche en 2021.

Bénéficier de définitions solides pour la finance verte est une chose. Mais cela n’est pas d’un grand secours si les bailleurs de fonds continuent à appuyer d’autres types d’investissements difficiles à concilier avec les objectifs de température fixés par l’accord de Paris. Ce concept d’alignement est de plus en plus mis en pratique, comme l’a très bien démontré lors de la COP 26 la Glasgow Financial Alliance for Net Zero. Cette initiative vise à fixer des objectifs et des échéances clairs pour les investissements verts. Ses signataires supervisent 130 000 milliards de dollars. Y figurent notamment 98 banques dans 40 pays détenant 43 % des actifs bancaires mondiaux, soit 66 000 milliards de dollars. Une telle échelle pèse dans la balance10: l’Agence internationale de l’énergie estime que, pour atteindre la neutralité climatique, l’investissement annuel mondial devrait s’élever à environ 5 000 milliards de dollars.

Il faut saluer la montée en puissance de la finance durable. Mais ne nous enthousiasmons pas outre mesure : il reste beaucoup à faire. En novembre, la Banque centrale européenne a publié une évaluation prudentielle des approches des banques en matière de gestion des risques climatiques et environnementaux. Résultat : sur la base d’une auto-évaluation effectuée par 112 établissements importants, aucun n’est sur le point d’aligner pleinement ses pratiques sur les attentes en matière de surveillance.

>@ECB (2021)
© ECB (2021)

Figure 3: L’état de la gestion des risques climatiques et environnementaux dans le secteur bancaire

La bonne nouvelle, c’est que presque tous les établissements qui ont effectué une évaluation approfondie s’attendent à ce que les risques climatiques aient un impact significatif sur leur profil de risque au cours des trois à cinq prochaines années. En d’autres termes, le problème est universellement reconnu. La BCE conclut que, bien que des mesures soient prises pour adapter les politiques et les procédures, peu d’établissements ont déjà mis en place des pratiques d’évaluation des risques ayant une incidence notable sur leur stratégie et leur profil de risque. La Figure 3 donne une idée du défi à relever. L’évaluation note que « la plupart des établissements occultent les risques climatiques physiques et autres facteurs de risque pour l’environnement, comme la perte de biodiversité et la pollution ». Bref, même si nous saluons les énormes progrès réalisés, nous devons garder résolument les pieds sur terre.

Thème 3 – La reconnaissance de l’adaptation aux effets des changements climatiques au cœur du financement international de l’action pour le climat

À Glasgow, les pays développés ont convenu d’un objectif consistant à doubler d’ici à 2025 le montant du financement de l’adaptation aux changements climatiques octroyé aux pays en développement, qui devrait s’élever à environ 40 milliards de dollars par an. C’est la première fois qu’un objectif de financement spécifique à l’adaptation aux effets des changements climatiques a été arrêté. Cet accord s’inscrit dans le contexte plus large du pacte de Glasgow pour le climat, qui trace une voie à suivre pour accroître le financement de la lutte contre les changements climatiques, à savoir l’adaptation, l’atténuation et le développement durable.

C’est une bonne nouvelle. L’incapacité des pays développés à honorer l’engagement de financer 100 milliards de dollars par an avant 2020 a bien évidemment sapé la confiance des pays en développement. Le plan de mise en œuvre du financement de l’action climatique et le pacte qui en découle contribuent à remettre le train sur les rails. En outre, le pacte met plus clairement l’accent sur l’adaptation aux changements climatiques et remédie ainsi à un point de discorde de longue date pour de nombreux pays en développement. Ces derniers n’ont pratiquement aucune responsabilité historique à l’égard des changements climatiques. Pourtant, ils doivent intégrer la résilience aux changements climatiques actuels et à venir dans leurs stratégies de développement de base.

Les investissements dans l’adaptation aux changements climatiques sont essentiels à la mise en place d'un modèle de croissance plus solide, plus propre, plus résilient et plus inclusif. Grâce à un rayonnement solaire important et, en partie, des vitesses de vent élevées, ainsi qu'à l’hydrothermie et la géothermie, des parties importantes du continent africain bénéficient d’un avantage comparatif pour la production d’énergies renouvelables de base. En 2021, la Namibie a fait avancer son ambitieux plan visant à produire de l’hydrogène à partir d’énergie verte de base, puis à l’exporter en Europe sous forme d’ammoniac vert. Même si de nombreux défis subsistent, les accords signés l’année dernière avec l’Allemagne, la Belgique et le port de Rotterdam témoignent du sérieux avec lequel le marché aborde cette question.

Ce type de développement vert n’est pas possible sans investissements dans la résilience de base face aux changements climatiques à venir. Le secteur agricole, qui représente 60 % du PIB africain et 80 % de l’approvisionnement de l’Afrique en denrées alimentaires, doit pouvoir résister à des périodes de sécheresse plus prolongées. La planification urbaine et régionale à long terme doit faire face à la montée du niveau des mers et des océans, à l’augmentation du stress hydrique et à l’élévation des températures. Le développement des infrastructures nécessite des normes de conception bien équilibrées, fondées sur des données climatiques prospectives et complétées par des systèmes de maintenance solides pendant leur exploitation. Il s’agit d’un domaine relativement nouveau, qui doit être introduit dans un contexte de capacités et de ressources financières limitées pour le secteur public.

Les banques publiques et les organismes de développement ont un rôle important à jouer dans la promotion des investissements dans l’adaptation aux effets des changements climatiques. Dans son tout premier plan pour l’adaptation aux changements climatiques, la BEI s’est fixé l’objectif de travailler plus étroitement avec le Centre mondial pour l’adaptation (GCA) et la Banque africaine de développement dans le cadre du programme d’accélération de l’adaptation en Afrique. Cette initiative, approuvée par l’Union africaine et lancée lors de l’édition 2021 du Sommet pour l’adaptation aux changements climatiques, est axée sur le renforcement de la sécurité alimentaire au moyen du déploiement de technologies numériques à l’appui des exploitants agricoles. Elle contribue à améliorer la résilience des infrastructures existantes grâce à des investissements ciblés en matière d’adaptation aux changements climatiques et vise l’élaboration de modèles de financement appropriés.

L’adaptation aux effets des changements climatiques à venir fait apparaître des enjeux complexes en matière de politique publique, en particulier lorsque le coût d’opportunité des ressources publiques est élevé. Une analyse technique solide est nécessaire pour repérer et hiérarchiser les investissements rentables dans un environnement caractérisé par une grande incertitude sur le long terme. Supposons que vous deviez prendre une décision concernant un investissement dans l’adaptation aux changements climatiques d’un hôpital local. L’investissement A coûte 100 euros et génère un avantage de 2 000 euros si les températures n’augmentent pas plus de 1,5 °C, mais il devient inefficace si la hausse des températures dépasse 2 °C. L’investissement B, lui, coûte 300 euros et rapporte 2 000 euros, quelle que soit l’élévation des températures, même au-delà de 2 °C. Que choisiriez-vous ? Un rendement assuré de 1 700 euros ou un rendement supérieur, de 1 900 euros, si l’élévation des températures reste inférieure à 1,5 °C ? La volonté (de la communauté internationale) de payer pour atténuer les risques pour certaines des régions les plus vulnérables du monde sera mise à l’épreuve au cours des prochaines années.

L’année 2021 a été marquée par une plus grande reconnaissance de l’importance du financement de l’adaptation aux changements climatiques dans le contexte des pays en développement. Le défi pour la communauté du financement du développement, dont font partie les banques multilatérales de développement, est de contribuer à une utilisation optimale de cette ressource fixe et, ce faisant, d’encourager un nouveau modèle de développement.

En conclusion

L’année 2021 a donné le coup d’envoi de la décennie décisive. Les émissions mondiales ont renoué avec leurs niveaux d’avant la pandémie et ce malgré tous les progrès réalisés dans le développement des technologies renouvelables, les engagements en faveur de la neutralité carbone et les réformes politiques. Du fait d’une inertie, du « coût d’irréversibilité », de l’héritage de la révolution industrielle, nous n’avons même pas encore infléchi la courbe mondiale : au mieux, nous sommes simplement parvenus à l’aplatir.

Est-ce qu’il faut pour autant céder au désespoir ? Non. Si l’on revient sur l’année 2021, il y a plusieurs raisons de faire preuve d’optimisme. D’un optimisme prudent certes, mais d’un optimisme tout de même. L’adoption d’engagements en faveur de la neutralité carbone par plus de 90 % de l’économie mondiale, qui aurait été impensable il y a seulement quelques années, envoie un message sans équivoque sur la direction prise. On peut se quereller sur la vitesse à laquelle la demande de combustibles fossiles diminue, mais la destination finale est claire.

Comme nous l’avons appris avec l’industrie solaire, les choses peuvent aller très vite une fois que les marchés atteignent des points d’inflexion. Il en faut plus pour vous convaincre ? En 2019, 3,1 % des voitures vendues en Allemagne étaient entièrement électriques. En 2021, ce chiffre atteignait 25 %. La politique climatique est aujourd’hui une politique industrielle et la course est lancée.

Chris Hurst est directeur général de la direction des projets de la Banque européenne d’investissement. Edward Calthrop est chef de l’unité Politique climatique au sein de cette direction.

  1. Chris Hurst est directeur général de la direction des projets de la Banque européenne d’investissement. Edward Calthrop est chef de l’unité Politique climatique au sein de cette direction. Les auteurs tiennent à remercier l’ensemble du personnel du Groupe BEI qui a participé aux discussions intéressantes menées sur la politique climatique au cours de l’année qui vient de s’écouler, en particulier les collègues du Bureau des affaires environnementales, climatiques et sociales.
  2. L’organisation caritative Christian Aid a récemment publié un rapport présentant les dix phénomènes météorologiques les plus dévastateurs sur le plan financier en 2021 : des ouragans aux États-Unis, en Chine et en Inde, ainsi que des inondations en Australie, en Europe et au Canada. En outre, ce rapport met en avant cinq phénomènes ayant d’immenses répercussions sur le plan humain, comme la sécheresse en Afrique et en Amérique latine.
  3. En 2021, les émissions devraient être supérieures à ces prévisions compte tenu de l’utilisation accrue de charbon pour la production d’électricité sur les principaux marchés mondiaux au cours des deux derniers trimestres, en partie sous l’effet de la très nette augmentation du prix du gaz naturel. Cette hausse se répercute notamment sur les émissions aux États-Unis et en Chine – voir l’analyse de la production d’électricité à base de charbon effectuée par l’Agence internationale de l’énergie.
  4. Dans son sixième rapport d’évaluation, le GIEC estime qu’il reste, depuis le début de l’année 2020, un budget mondial de 500 gigatonnes de CO2 pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. (Tableau du Résumé à l’intention des décideurs 2)
  5. Voir Climate Action Tracker.
  6. Début 2018, les prix du système d’échange de quotas d’émissions étaient inférieurs à 10 euros la tonne. Du fait de plusieurs réformes, début janvier 2021, les prix avaient dépassé la barre des 30 euros la tonne. Toutefois, au cours de l’année 2021, les prix ont fortement augmenté et ont dépassé la barre des 80 euros la tonne au début du mois de décembre. Les prix actuels reflètent à la fois les fondamentaux à long terme – il est proposé de réduire le nombre de quotas d’émissions de 4,2 % par an – ainsi que les dynamiques à plus court terme, comme la récente augmentation de la production d’électricité à partir du charbon aux dépens du gaz.
  7. À eux seuls, les prix du système d’échange de quotas d’émissions ne permettront pas d’encourager les investissements dans de nouvelles technologies à forte intensité de capital. Un soutien politique spécifique, comme le Fonds pour l’innovation de l’UE, est nécessaire pour encourager les entreprises à prendre des décisions en matière d’investissement dans des technologies à forte intensité de capital. Les résultats du premier appel à projets à grande échelle ont été publiés le 16 novembre 2021. Sept projets visent à mettre sur le marché des technologies transformatrices dans des industries à forte intensité énergétique (l’hydrogène et le piégeage, l’utilisation et le stockage du carbone) ainsi que dans la production d’énergie renouvelable.
  8. Par exemple, une récente analyse de l’Agence internationale de l’énergie suggère qu’un prix de 40 à 120 dollars la tonne de CO2 est nécessaire pour couvrir les coûts du piégeage du carbone dans les procédés industriels dont les flux d’émissions sont dilués, comme la production de ciment.  La fourchette de prix est nettement inférieure (de 15 à 25 dollars la tonne de CO2) pour les procédés industriels dont les flux de CO2 sont très concentrés, comme la production d’éthanol ou le traitement du gaz naturel. Les coûts de transport et de stockage doivent être ajoutés, même s’ils sont susceptibles de varier considérablement selon les cas.
  9. La production d’hydrogène à partir de sources renouvelables (par exemple, le reformage du méthane à la vapeur) commence à souffrir la concurrence face aux combustibles fossiles à environ 100 euros la tonne de CO2 selon une récente analyse.
  10. Une certaine prudence s’impose ici. Il n’est pas aisé de déterminer quelle proportion de ces 130 000 milliards de dollars sera orientée vers des activités vertes. Le chiffre mis en avant comptabilise tant les actifs sous gestion que les actifs détenus. Le calendrier est imprécis. Néanmoins, cette initiative montre qu’une grande partie du secteur financier mondial met davantage l’accent sur l’alignement.