La ville d’Essen a longtemps été synonyme de pollution industrielle. Mais en 2017, elle a reçu le titre de « Capitale verte de l’Europe ». Voici le cocktail secret que la ville allemande a concocté pour faire sa révolution verte.
Après la réunification de l’Allemagne, les deux tiers des eaux usées d’Essen étaient déversées dans la rivière Emscher. Les abattoirs et les aciéries y rejetaient leurs déchets et la rivière était devenue un réservoir de métaux lourds et d’excréments. La Emschergenossenschaft (coopérative de gestion des eaux de l’Emscher), qui compte 19 municipalités et de nombreuses entreprises, a été fondée en 1899 ; il s’agissait du premier syndicat de gestion des eaux usées d’Allemagne. Elle est à l’origine d'un programme ambitieux visant à remettre la rivière dans son état naturel d’origine et à créer des parcs de loisirs et de nouvelles zones de croissance économique sur ses rives. Étant donné que l’Emscher était également un égout à ciel ouvert dans lequel les déchets industriels d’Essen étaient déversés, la tâche est titanesque et il reste encore du chemin à parcourir.
Uli Paetzel, le directeur exécutif de l’Emschergenossenschaft, peut maintenant emmener ses enfants de 9 et 10 ans sur les aires de jeux verdoyantes qui bordent désormais la rivière. « À l’échelle de l’Europe, il s’agit du plus grand projet visant à remettre dans son état naturel d’origine le paysage bordant une rivière et induire un changement structurel », explique Uli Paetzel.
« Nous voulons rendre la rivière aux citoyens. »
Essen a tourné le dos à son passé de ville industrielle polluée du centre de la Ruhr. Pour preuve, en 2017, elle a été élue Capitale verte d’Europe par la Commission européenne.
Comment cette transformation radicale a-t-elle été possible ?
Un changement structurel
Chaque année, le titre de « Capitale verte » est décerné à une ville qui est à l’avant-garde pour ce qui est de conjuguer vie en milieu urbain et respect de l’environnement. Un jury composé d’experts évalue les candidatures soumises par les villes à l’aune d’indicateurs clés tels que la qualité de l’air, les transports locaux, les espaces verts urbains et les mesures en matière de lutte contre les changements climatiques.
« Suie, saleté, mauvaises odeurs et cheminées qui crachent de la fumée – voilà l’image que les gens qui ne sont pas d’Essen continuent à associer à la ville, » déclare Matthias Sinn, chef du service environnemental d’Essen. « Et pourtant notre ville est bien plus jolie et bien plus verte qu’on pourrait le penser. Avec tous ses parcs et pièces d’eau, elle vous donne vraiment envie de profiter pleinement de la vie. »
L’ancienne ville minière possède maintenant un parc public de 23 hectares, distribue une eau de grande qualité et dispose d’un centre-ville où la circulation automobile est limitée. « Nous avons probablement eu plus de difficultés que d’autres villes », ajoute Matthias Sinn.
« Notre plus grand défi consiste à faire changer l’image que les habitants et les visiteurs ont de la ville. »
Quelques chiffres ...
Il faut dire qu’Essen avait de quoi impressionner les membres du jury :
- la ville compte 3 100 hectares de parcs et d’espaces verts, soit une superficie équivalant à 2 200 terrains de football
- 13 000 emplois sont proposés dans un secteur vert ou innovant
- le système de gestion des eaux de la ville, qui comprend des espaces verts multifonctions, sert à la fois à la gestion des eaux pluviales, à la prévention des crues et à la réalimentation des nappes phréatiques.
- 95 % de sa population dispose maintenant d’un espace vert urbain dans un rayon de 300 m autour de son habitation
- 376km de pistes cyclables sont accessibles
- 128 000 m2 de routes ont été rénovées et disposent d’un revêtement anti-bruit
- aucun déchet ménager n’est plus mis en décharge depuis les années 60
Et elle a aussi des objectifs ambitieux :
- réduire les émissions de CO2 de 40 % d’ici 2020
- faire en sorte que d’ici 2035, 25 % de tous les trajets soient effectués à vélo
- proposer 20 000 emplois dans le secteur de l’environnement d’ici 2025
- recycler 65 % de tous ses déchets d’ici 2020.
Des idées novatrices
Au début du XXe siècle, la Emschergenossenschaft devait utiliser de grands blocs de béton pour réguler le cours de l’Emscher.
La gestion des eaux usées a été toujours été un défi à Essen. Le sous-sol ressemblait à un véritable gruyère à cause des galeries minières et il était donc impossible de construire des égouts souterrains. Les tuyaux en grès auraient éclaté et les conduites maçonnées se seraient fissurées.
« À la fin des années 80, les activités d’extraction de charbon se sont déplacées vers le nord, de sorte que les risques d’affaissement qui y étaient liés ont disparu », explique Peter Bernsdorff, chargé de prêt à la Banque européenne d'investissement qui a travaillé sur le financement de certains projets environnementaux d’Essen. « Il est alors devenu possible de construire un réseau d’assainissement souterrain. »
Des réalisations époustouflantes
Le projet :
- construire plus de 400 km d’égouts souterrains neufs
- renaturer 350 km de rives et de paysages
Le coût de l’opération est tout aussi impressionnant : 5,3 milliards d’EUR, dont la BEI finance environ 30 %.
« Ce qui frappe, dans ce projet, c’est sa dimension gigantesque à l’échelle régionale, ainsi que ses ouvrages d’ingénierie de pointe et l’amélioration de la biodiversité qu’il a permise. Bien sûr, la documentation sur le projet vous donne des informations sur sa dimension, mais vous ne pouvez vous en rendre compte réellement que quand vous vous trouvez au fond d’un puits de 40 m et que vous levez la tête vers le ciel », explique Sebastian Hyzyk, économiste à la BEI. « La construction de capacités supplémentaires de rétention permettra de renforcer la protection contre les crues. »
La BEI avait alloué un premier prêt de 450 millions d’EUR en 2011, auquel est venu s’ajouter un autre concours de 450 millions d’EUR couvrant la période 2014 à 2016. La Banque travaille sur une troisième opération de 450 millions d’EUR qui viendrait compléter les précédentes. En outre, les prêts ont une durée de 45 ans et un taux d’intérêt fixe, en dépit de leur longue échéance.
Rénovation haute technologie
Le nouveau canal d’évacuation de l’Emscher se compose de conduites souterraines ultramodernes équipées de 3 stations de pompage des eaux usées de grande capacité, capables d’envoyer les eaux usées dans des canalisations situées plus haut. Des robots de maintenance assureront l’entretien et le nettoyage des conduites et détecteront les fissures. Le canal d’évacuation est gigantesque : il mesure 51 km de long, se trouve à une profondeur de 40 mètres et fait près de 3 mètres de diamètre. Tous les kilomètres, une bouche d’aération assure une ventilation appropriée à l’intérieur de la conduite. Il s'agit probablement du réseau d’assainissement le plus moderne du monde.
« Une grande voiture pourrait rouler dans cette conduite », explique Uli Paeztel en souriant.
Afin d’assurer l’écoulement des eaux usées, la conduite doit toutefois présenter un dénivelé (de 1,5 mètre tous les kilomètres).
L’endroit où l’Emscher se jette dans le Rhin pose également un autre problème. L’eau tombe d’un barrage de 6 mètres dans le Rhin. Ce système empêche les poissons et autres organismes vivants de passer du Rhin à l’Emscher. Afin de résoudre ce problème, l’embouchure de l’Emscher sera décalée de 500 m vers le nord, où il y a un espace suffisant pour que l’eau s’écoule sur plus de 20 hectares de zones humides. Ainsi, les poissons pourront passer de façon plus naturelle entre les deux cours d’eau.
Les voies de la coopération
Durant cette année 2017 où elle est capitale verte de l’Europe, Essen prévoit de lancer plus de 300 projets et événements qui amélioreront encore la qualité de vie dans la ville. La durabilité est l’une des premières priorités à l’ordre du jour. Elle inclut la promotion des transports publics.
La région métropolitaine Rhin-Ruhr est l’une des plus densément peuplées d’Europe. Les réseaux de transports publics et les connexions ferroviaires entre Cologne, Essen et Dortmund sont extrêmement surchargées. La BEI soutient depuis longtemps des transports durables et écologiquement responsables. C’est donc tout naturellement qu’elle a financé l’express Rhin-Ruhr.
Un prêt de la Banque de 340 millions d’EUR signé en avril 2016 servira à financer l’achat de 82 nouveaux trains électriques à deux niveaux plus efficaces du point de vue énergétique, d’une capacité accrue et offrant un meilleur confort aux voyageurs.
« C’est avant tout l’histoire d’une coopération inédite entre quatre associations de transports de la région », explique Peter Bernsdorff.
D’après les prévisions, l’express Rhin-Ruhr devrait effectuer quelque 31 000 trajets voyageurs par jour, ce qui devrait entraîner un transfert important de la voiture particulière vers les transports publics. Dans la même région, la BEI cofinance également le S-Bahn Ruhrgebiet (chemin de fer urbain de la région de la Ruhr). Ce projet aboutira à la mise en circulation de quelque 40 trains électriques supplémentaires qui desserviront notamment Essen.
On observe une modification de la structure économique de nombreuses régions urbaines d’Europe. Dans ce contexte, la transformation réussie d’Essen, ancienne cité minière et sidérurgique, en l’une des villes les plus vertes d’Allemagne, pourrait réellement être une source d’inspiration.