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    Comment les entreprises européennes continuent-elles d’investir dans un contexte d’inflation élevée ?

    En Europe, l’investissement a mieux résisté que prévu pendant la récente période de forte inflation. D’après les économistes de la BEI, les entreprises qui ont pu répercuter la hausse des prix de l’énergie ont vu leurs bénéfices augmenter, tandis que d’autres ont bénéficié du soutien des pouvoirs publics.

    Depuis la pandémie de COVID-19, les investissements dans l’Union européenne s’avèrent plus solides que prévu, au-delà des tendances historiques. Cela s’explique en partie par la robuste reprise économique et la forte augmentation des bénéfices des entreprises (BEI, 2024). Les entreprises ont aussi compensé le durcissement des conditions de financement externe grâce aux volants de liquidités mis à disposition par les pouvoirs publics, à la hausse de leurs bénéfices pendant la période de reprise rapide qui a suivi la crise et à leur capacité à répercuter leurs coûts sur la clientèle.

    Un document de travail des économistes de la Banque européenne d’investissement intitulé « Investment decisions in a high inflation environment » (Les décisions d’investissement dans un contexte d’inflation élevée) analyse la corrélation entre l’inflation, qui a bondi à partir de 2021, et les décisions d’investissement des entreprises, en particulier celles des petites et moyennes entreprises (PME).

    Comment l’inflation pénalise l’investissement

    À court terme, l’inflation renchérit le coût des matériaux et des salaires par rapport aux recettes, sauf si les entreprises parviennent à ajuster leurs prix immédiatement. Cela réduit les marges bénéficiaires et, partant, les actifs liquides qui pourraient permettre d’investir.

    À long terme, une inflation élevée pèse sur les revenus réels, érode l’épargne des ménages et fait chuter la demande. Dans un tel contexte, une baisse de la demande entraîne un recul du chiffre d’affaires et de la rentabilité, et les entreprises cessent d’investir. Les pressions sur la demande, les anticipations baissières des perspectives économiques et l’incertitude accrue quant à la stabilité des prix et à l’évolution des revenus réels (revenus corrigés de l’inflation) sont susceptibles d’inciter les entreprises à réduire la voilure de leurs plans d’investissement (BEI, 2023 ; Kolev & Randall, 2023). Ce constat est corroboré par d’autres études, qui montrent que les taux d’inflation supérieurs à 10 % sont davantage susceptibles de peser sur l’investissement (Asab & Al-Tarawneh, 2018).

    Une inflation élevée pénalise également la rentabilité des entreprises et l’accès au financement externe. En effet, les banques centrales augmentent les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, ce qui rend le crédit plus coûteux et plus difficile d’accès. Le durcissement de la politique monétaire exerce également une pression indirecte sur la demande, ce qui met davantage sous pression les ventes, les recettes et les bénéfices.

    Comment expliquer l’augmentation des investissements malgré une inflation élevée ?

    La hausse des prix de l’énergie et les perturbations des chaînes d’approvisionnement ont alimenté une inflation élevée en 2021 et en 2022, qui a culminé à un taux annuel de 11,5 % en octobre 2022 (Eurostat). Cependant, la plupart des entreprises de l’UE ont été rentables pendant cette période : 79 % en 2022 et 80 % en 2023, selon l’enquête de la BEI sur l’investissement. Cela s’explique par le soutien dont elles ont bénéficié pendant la pandémie et par le redressement rapide de la demande. Elles ont pu ainsi constituer les réserves financières nécessaires pour investir (BEI, 2024). L’investissement global au cours de cette période (2021 et 2022) a fortement augmenté et, en 2023, il est resté supérieur de 4 % environ aux niveaux d’avant la pandémie (2019).

    Si l’on s’attend généralement à ce que la corrélation entre inflation et investissement soit négative à la lumière du raisonnement qui précède, quelques facteurs peuvent expliquer la dynamique positive de l’investissement pendant la récente période de forte inflation.

    Tout d’abord, le document de travail montre que les décisions d’investissement dépendent de la capacité des entreprises à répercuter la hausse des coûts sur les consommateurs. Lorsque les entreprises sont en mesure de le faire, le coup porté à leur rentabilité et à leur situation financière est moindre.

    Deuxième élément, la poussée inflationniste a été fortement alimentée par les coûts de l’énergie et d’autres facteurs de production, ce qui a incité les entreprises à investir dans l’efficacité énergétique comme stratégie visant à réduire les coûts.

    Enfin, étant donné que les actifs liquides sont plus vulnérables aux effets négatifs de l’inflation, il était logique que les entreprises investissent afin de protéger leur valeur.

    Les données statistiques montrent que les entreprises européennes ont considérablement augmenté leurs réserves de liquidités au cours de la période précédant le choc des prix de l’énergie et ont également bénéficié des programmes massifs d’aide de trésorerie mis en place pendant la pandémie. Ces réserves de liquidités élevées peuvent constituer un volant permettant d’appuyer les investissements en cours ou les investissements avantageux dans l’efficacité énergétique (Ampudia et al., 2023). Des études montrent également que les entreprises disposant d’importantes réserves de liquidités ou d’un accès plus facile au financement externe peuvent être relativement mieux placées pour résister aux périodes d’inflation élevée (Cleary, 1999 ; Cleary et al., 2007).

    Le graphique ci-dessous résume les résultats empiriques du document de travail. Il montre que la rentabilité élevée des entreprises capables de répercuter leurs coûts (taux de répercussion) et l’accumulation de liquidités (grâce également au soutien des pouvoirs publics) expliquent la hausse observée du taux d’investissement, en particulier dans l’efficacité énergétique. Les prix élevés de l’énergie ont été à l’origine à la fois de l’inflation et de la nécessité d’investir, en particulier dans la transition écologique. Cela a contrebalancé les freins à l’investissement que sont l’incertitude et le moindre accès au financement externe.

    Figure 1 – L’investissement des entreprises et ses facteurs déterminants

    Les entreprises qui ont répercuté le coût de la hausse des prix de l’énergie ont investi dans l’efficacité énergétique

    La corrélation positive observée entre l’inflation et l’investissement peut aussi s’expliquer par le fait que le contexte d’inflation élevée a en réalité permis à certaines entreprises d’augmenter leurs bénéfices. Le graphique ci-dessous montre que les entreprises des secteurs qui ont pu répercuter la hausse des prix de l’énergie étaient également plus susceptibles d’investir, en particulier dans l’efficacité énergétique.

    Figure 2 – Répercussion des prix de l’énergie sur la clientèle et investissements dans l’efficacité énergétique

    Une inflation élevée toujours préjudiciable aux entreprises et à l’économie

    Si de nombreuses entreprises européennes ont été en mesure d’accroître leurs bénéfices et de continuer à investir durant la récente période d’inflation élevée, les hausses soutenues des prix et des taux d’intérêt devraient avoir des répercussions négatives à plus long terme. Une fois les réserves de liquidités épuisées et les contrats de prêt en cours à échéance, le coût du financement de nouveaux investissements sur des ressources externes sera considérablement plus élevé. Dans l’ensemble, les corollaires de l’inflation, comme des taux d’intérêt plus élevés, le durcissement des conditions de financement externe et l’incertitude accrue due aux chocs répétés, ont des répercussions particulièrement négatives sur les décisions d’investissement des entreprises. Ces répercussions pourraient être visibles une fois les effets positifs à court terme dissipés.

    Par ailleurs, il existe certains groupes d’entreprises peu dotées en liquidités dont la capacité d’investissement est davantage entravée par des goulets d’étranglement structurels que par les conditions de financement externe.  Les entreprises de petite taille, jeunes et innovantes, dont la part des actifs incorporels est plus élevée, ou celles qui ne sont pas en mesure de répercuter la hausse des coûts, peuvent peiner à financer leurs investissements, ce qui pourrait freiner leur transition écologique et numérique par rapport à la moyenne des entreprises.

    Afin d’appuyer la transformation écologique et numérique même en cas de ralentissement de l’économie, le soutien des pouvoirs publics devrait se concentrer sur le climat des affaires. Les mesures auront vocation à réduire l’incertitude économique et le niveau structurellement plus élevé des difficultés de financement auxquelles sont confrontées les PME. Cela pourrait notamment passer par le fait de proposer d’autres sources de financement que les classiques prêts bancaires. L’offre serait adaptée au profil de risque de ces entreprises pour leurs investissements à plus long terme et contrebalancerait ainsi les effets négatifs du durcissement conjoncturel du crédit. En outre, une attention particulière devrait être accordée aux PME qui opèrent sur des marchés très concurrentiels ou à celles dont les produits et services sont très sensibles aux variations de prix et qui ne sont donc pas en mesure de répercuter la hausse des coûts de production.

    Bibliographie

    Ampudia, M., Eren, E., & Lombardi, M. (2023). Resilient risk-taking in financial markets—Non-financial corporates’ balance sheets and monetary policy tightening. Banque des règlements internationaux. https://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt2309a.htm

    Asab, N. A., & Al-Tarawneh, A. (2018). The impact of inflation on the investment: the non-linear nexus and inflation threshold in Jordan. Modern Applied Science12(12), 1913–1844.

    Cleary, S. (1999). The Relationship between firm investment and financial status. The Journal of Finance54(2), 673–692.

    Cleary, S., Povel, P., & Raith, M. (2007). The U-shaped investment curve: theory and evidence. Journal of Financial and Quantitative Analysis42(1), 1–40.

    BEI. (2023). Rapport sur l’investissement 2022-2023 – Résilience et renouveau en Europe. Banque européenne d’investissement. https://www.eib.org/publications/20220211-investment-report-2022

    BEI. (2024). Rapport sur l’investissement 2023-2024 – Une transformation au service de la compétitivité Banque européenne d’investissement. https://www.eib.org/publications/20230323-investment-report-2023

    Kolev, A., & Randall, T. (2023). The effect of uncertainty on investment: evidence from the EIBIS. BEI

    Document de travail 2024/02. BEI. https://www.eib.org/publications/20240131-economics-working-paper-2024-02